31 décembre 2012

Et toi, à quoi tu joues ?

Les rédacteurs du magazine 42 ont fait comme chaque année leur top 3 des meilleurs jeux vidéos auxquels ils ont joué au cours de l'année. Si l'originalité est au rendez‑vous chez un certain nombre d'entre eux, on ne peut que regretter l'absence de jeux libres, ou au minimum jouables sur Linux. Voici donc ma petite sélection, qui doit correspondre à l'ensemble des jeux que j'ai découverts cette année, étant donné que je ne suis qu'un vilain casu.

Frogatto

Là, on tape dans le jeu non seulement jouable sur Linux mais réellement libre. C'est un jeu de plate-forme, qui tout en reprenant tous les classiques de ce type de jeu n'en est pas moins unique. Je vais cependant commencer par ce que je n'aime vraiment pas. Ce jeu se veut un hommage à la SNES. Niveau graphismes, ça donne un résultat intéressant, avec des dessins pixelisés, mais malgré tout très agréables. Pour le reste, en revanche... Je trouve la bande-son horripilante, mais je suppose qu'un amateur de musique 8‑bits y trouverait plus de plaisir que moi. Ce qui est vraiment insupportable, c'est la maniabilité : pour un jeu casu, il est objectivement difficile. Au départ, j'ai pensé que c'était moi qui étais mauvais, mais en voyant des vidéos de soluce sur Internet, j'ai pu me rendre compte que ce n'était pas juste moi. Le tir, tout particulièrement, est ardu. Car le personnage que l'on incarne n'est jamais qu'un grenouille ; et si cela lui permet de ne pas craindre l'eau comme dans de nombreux jeu de plate-forme, cela le rend très vulnérable. De nombreux ennemis sont inattaquables, et un certain nombre ne le sont qu'en leur lançant des objets ou d'autres ennemis dessus. Et c'est là que le bât blesse : les tirs ne sont pas droits, mais légèrement en cloche. On ne peut pas se contenter de tirer sur un ennemi en face de soi, car s'il est un poil trop près, on le lobe. De même, tirer sur un ennemi en vol tient de la gageure.
Mais ces désagréments sont compensés par ce qui fait le vrai bon point du jeu, à savoir l'humour absurde dans lequel il baigne. Votre personnage n'a rien d'un héros : c'est un grenouille glandeur, vénal, râleur et imbu de lui-même. L'histoire commence à allant fouiller la chambre de son colloc pour lui chourer ses économies, avant que celui‑ci ne vous houspille pour que vous vous décidiez enfin à trouver du boulot. Puis, un peu plus loin, lorsqu'une amie en détresse vous demande de l'aide, vous commencez par demander combien elle paye. Quant à la quête en elle-même, elle n'existe pas réellement ; l'histoire suit son cours au gré des événements extérieurs, et Frogatto ne se sent jamais investi d'une mission particulière : il se contente d'aller voir ce qui se passe, et de se sortir des ennuis quand il en rencontre.

Blocks that matter

Petite création indépendante d'un mini-studio de deux Français, il s'agit d'un jeu alliant puzzle et plate-forme. Deux programmeurs ont été kidnappés par quelque malandrin, et un robot de leur invention vient les chercher. Pour ce faire, le robot, que le joueur incarne, doit collecter des blocs de diverses matières — d'où le titre — puis les ré‑assembler quatre à quatre et les disposer à quelque endroit de son parcours, de manière à franchir les obstacles qui se dressent entre lui et le portail de changement de niveau. Évidemment, chaque matière a ses spécificités qu'il faut exploiter à bon escient, d'où l'aspect puzzle. D'autant que terminer le niveau en utilisant le minimum de blocs donne un bonus. Dans l'ensemble, le jeu est vraiment bien foutu. Les puzzles ne sont en eux-mêmes pas très compliqués, permettant de jouer sans trop se prendre la tête, mais obtenir le « bloc secret » de chaque niveau se révèle une autre paire de manche, permettant d'ajouter un niveau de difficulté pour ceux qui le veulent. Je soupçonne d'ailleurs que certains de ces blocs secrets ne se peuvent atteindre qu'en revenant à ce niveau plus tard dans le jeu, après avoir gagné une amélioration supplémentaire. En effet, vous démarrez le jeu avec une simple perceuse, mais dans certains niveaux, une machine peut vous améliorer, par exemple en vous offrant un foret plus efficace capable de récolter un nouveau type de roche.
Les graphismes sont mignonnets sans faire dans la débauche artistique, la bande son et les bruitages accompagnent gentiment sans devenir relous. Et si vous n'êtes pas encore convaincus, sachez que ce jeu est si peu cher que je l'ai même acheté, au lieu de l'emprunter à un ami, comme je fais normalement. Avec les soldes, il est en ce moment à moins de un euro, c'est dire !

Sonny

Car les jeux jouables sous Linux, ce sont aussi les jeux Flash. Oui, Flash c'est le mal, mais personne ne développe encore de jeux en SVG interactif, alors il faut bien se contenter de ce que l'on a. Sonny, c'est un jeu de zombis. Sauf qu'au lieu de les dézinguer comme à votre habitude, vous en incarnez un. Sonny, de son nom. Le scénario tient sur une tranche de PQ : Sonny se réveille sur un bateau, zombifié et amnésique, mais en ayant conservé sa conscience, au contraire de tous ses anciens petits camarades ; ensuite de quoi, il va s'efforcer de trouver des réponses à ses questions, en tabassant tous ceux qui se mettront dans son passage.
Au final, ça donne quoi ? Un RPG de baston. Fondamentalement, à l'exception de quelques dialogues de ci de là, l'histoire est entièrement linéaire, et composée exclusivement de combats les uns à la suite des autres. Sauf qu'il faut améliorer ses compétences, apprendre de nouveaux coups spéciaux, et améliorer son matériel pour être plus efficace en combat. Car si les premiers combats se remportent en un tournemain, la difficulté augmente assez vite, d'autant que l'on se voit doté d'un partenaire — qu'on ne contrôle pas vraiment, on ne peut que lui donner un profil général de comportement — et que les adversaires sont rarement seuls et s'entraident. Ceci, ajouté au système de tour par tour, rend nécessaire le développement d'une stratégie adaptée à chaque combat, ce qui en fait un jeu beaucoup plus porté sur la réflexion que le résumé ne pourrait le faire croire. La musique est répétitive à la longue, mais assurément entraînante, et donne du cœur à l'ouvrage. De manière plus succincte, ce jeu est le seul qui m'ait jamais tenu éveillé jusque tard dans la nuit.
Pour finir sur les aspects négatifs, j'en citerai deux. Tout d'abord, une part d'aléatoire parfois rageante. Il est, par exemple, un combat qui peut se dérouler de deux manières, selon le choix tactique de l'adversaire : ou bien il vous attaque principalement vous, et avec l'aide de votre associé soigneur, et en jouant finement, vous finirez par l'emporter de pas grand chose ; ou bien il commence par pilonner votre trousse de secours ambulante, la tuant en quelques tours, et dès lors il ne reste plus qu'à se suicider, le combat étant par trop inégal. Et c'est purement au hasard que ce choix se fait : alors le combat est déjà assez difficile en soi, sans en plus perdre régulièrement des tours pour rien juste à cause d'une saloperie de moteur aléatoire ! Ensuite, le dosage assez moyen de la difficulté. En effet, le combat contre la combinaison chamane-de-la-vie + chamane-de-la-mort + totem au troisième tableau est à mon avis le plus difficile de tous, et de manière générale, le troisième tableau est plus ardu que le quatrième.
Il y a eu une suite, Sonny 2, dont la fin laisse présager un Sonny 3 qui se fait attendre, mais je trouve cette suite moins agréable à jouer : dans le premier opus, le choix de départ d'un type de personnage déterminait les caractéristiques de départ et leur évolution « naturelle » aux prises de niveau, mais les compétences spéciales étaient les mêmes pour tout le monde ; dans le deuxième, au contraire, l'arbre des compétences est différent pour chaque type, ce qui à mon avis limite la variété de jeux possibles, faute de pouvoir combiner.

Et pour la suite ?

Ma seule attente pour l'an prochain (ou plus tard, va-t'en savoir...) c'est Seasons after Fall du même studio que Blocks that Matter. Les graphismes sont superbes, la musique douce, et le jeu a l'air bucolique à souhait. Et surtout entièrement pacifique, ce qui est plutôt rare. Le principe serait de guider un renard dans un paysage qui change en fonction des saisons, et d'utiliser ce changement de saisons à bon escient pour progresser. Regardez la vidéo de présentation, elle est beaucoup plus parlante que toute description que je pourrais faire.

30 décembre 2012

Plus près de toi, mon Dieu...

S'il est un point sur lequel toutes les religions sont gaillardement œcuméniques, et plutôt deux fois qu'une, c'est quand il s'agit de taper sur les athées. Qu'on soit musulman chiite, chrétien anglican, juif ultra-orthodoxe ou même hindouiste, un maudit incroyant reste un salaud de mécréant ; et les ennemis de ses ennemis étant ce qu'ils sont, on ne rechigne pas à s'allier en faisant fi des confessions et des convenances pour fustiger, blâmer, vilipender voire molester les empêcheurs de prier en rond. Ou tourné vers la Mecque, si vous préférez.
Tout particulièrement, les calotins de tous poils, y compris sur le menton 1, s'accordent à affirmer que sans la religion en général et la leur en particulier, il n'y aurait pas de morale. En effet, expliquent-ils doctement, comment un homme pourrait-il s'empêcher de faire le mal sans avoir de compte à rendre à une entité supérieure, capable de le surveiller en tous les lieux, par tous les temps 2 ? Ça, c'est la version de Papa Ratzi, le pape sorti des jeunesses hitlériennes, quand il donne des leçons au monde 3, parce qu'il a fait des études, ou du moins ses nègres en ont fait. Le croyant moyen, lui, sera plus fruste dans sa formulation, et vous gratifiera d'un « Si tu crois pas en Dieu, si tu crois pas à l'enfer, pourquoi tu vas pas tuer des enfants, après tout, tu risques rien ? » bien senti, ou autre à l'avenant. Il est bien sûr possible de nier, d'affirmer avec force conviction que son interlocuteur se trompe 4, et qu'il est tout à fait possible d'avoir une morale en dehors de la religion. Mais on court au dialogue de sourds. Aussi, il m'est venu cette petite réflexion, que vous aurez sans doute l'occasion de replacer : à moins de ne fréquenter strictement que des athées, il est inévitable un jour où l'autre d'aborder ce sujet.
On le sait, si la religion impose des cadres moraux, ce n'est en aucun cas un frein absolu — ni même juste efficace, à mon sens — à la propension des hommes à faire le mal, quoi que ce concept recouvre, là n'est pas la question. Quand l'autre a dit « que celui qui n'a jamais pêché lui lance la première pierre », on s'est bien rendu compte de la moralité des uns et des autres. Là où réside vraiment la différence entre un athée et un croyant, c'est que lorsqu'un croyant fait le bien, on ne peut jamais totalement exclure que ce soit dans le but de se faire bien voir de son ami imaginaire : ce n'est pas nécessairement conscient, mais le doute demeure. Alors que si un athée fait une bonne action, c'est seulement pour la satisfaction de faire le bien : il n'y a pas de jury de la Star Ac' version céleste auprès de qui il doit faire ses preuves, c'est indubitablement par pure bonté qu'il agit. Et ça, il ne faut pas l'oublier, au moment de vanter la supériorité de la morale religieuse sur la morale profane ou l'absence supposée d'icelle.
Amen.

1 Merci Didier Porte.
2 Merci Georges.
3 Merci Leo Strauss. Ben oui, ce n'est pas Mike Godwin qui a inventé le point du même nom ...
4 Ou que sa maman a une morale douteuse, au choix.

8 août 2012

Le e-book ne doit pas remplacer le livre papier ...

... c'est du moins ce que disent pas mal de gens sur Internet. De gros geeks, mais pourtant fans de leur bibliothèque. Un exemple parmi tant d'autres de ce débat chez Simon Giraudot.

J'adore les livres papiers, hein ... J'en ai une pleine bibliothèque. Mais j'ai un nouvel élément à apporter au débat.

Ma bibliothèque avant l'invention du e-book.


Ma bibliothèque depuis l'invention du e-book.

Que celui qui n'a jamais déménagé une bibliothèque entière me jette la première pierre ... :-)

7 juillet 2012

Lettre à Mme Marie-Georges Buffet

Pour ceux que la question pourrait intéresser, voici un courrier que j'ai envoyé à Marie-Georges Buffet, vice-présidente communiste de la commission aux affaires culturelles et éducatives de l'Assemblée Nationale. Il ne reste plus qu'à attendre sa réponse.


Madame la députée, camarade,

Je me permets de vous écrire pour attirer votre attention, si vous n'étiez déjà informée de la situation, sur une problématique qui me tient à cœur, et qui entre dans les attributions de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Il s'agit de la question de la publication de la recherche publique, et du rôle que jouent les sociétés privées d'édition scientifique dans le processus.

Vous n'êtes pas sans savoir que la recherche scientifique a vocation à être publiée, de manière à ce que l'ensemble des chercheurs puisse se tenir informé des avancées de la science. Cela se fait très généralement dans une revue scientifique, publiée par un éditeur. Après que l'auteur ou les auteurs ont soumis leur article, l'éditeur le fait relire et approuver par un comité d'experts, presque toujours des chercheurs publics, qui effectuent ce travail bénévolement sur leur temps de service. Enfin, l'éditeur scientifique vend sa revue, sous forme imprimée ou électronique, aux services de documentation des universités et autres établissements d'enseignement supérieur. Si on résume d'un point de vue strictement comptable, les éditeurs scientifiques s'abreuvent à la source de l'argent public — sans aucune contrepartie — en trois occasions : lors de la création du contenu de leurs revues, lors de la vérification de la qualité de ce contenu, et lors de sa distribution.
Une telle manière de procéder ne porte pas préjudice dans le cas de petites structures, comme l'ADEFO (Association pour le développement des études finno-ougriennes), qui publient une unique revue, et ce sans but lucratif. Il en est tout autrement des immenses maisons d'édition scientifique telles que Elsevier, Springer, Brepols ou encore De Gruyter, qui profitent d'une situation complexe, laquelle aboutit à un quasi-monopole de fait, pour imposer des tarifs exorbitants et des conditions draconiennes, sans égard au fait qu'elles n'existeraient pas sans les financements publics.
Voici quelques exemples des tarifs et conditions qui sont imposés aux bibliothèques universitaires, entre autres françaises. Les revues les plus chères d'Elsevier peuvent coûter jusqu'à plus de dix-huit mille euros d'abonnement annuel. La maison d'édition Walter De Gruyter publie un dictionnaire de l'occitan médiéval, réalisé par des chercheurs de l'Université de Münich — donc payés par de l'argent public — au sein d'un projet encadré par l'Académie des sciences de Bavière — là encore, financée par l'argent public — et vend le résultat aux bibliothèques publiques à un tarif avoisinant cinquante centimes la page : si les éditeurs de romans de gare pratiquaient de tels tarifs, le dernier Guillaume Musso coûterait deux cents euros. L'arrivée de l'informatique, et du livre électronique, loin de pousser les grandes maisons d'édition à baisser leurs tarifs, a encore accru leur appétit. Ce ne sont maintenant plus les éditeurs qui se chargent de taper les manuscrits à l'ordinateur, avec le coût en main-d'œuvre que cela représente : au contraire, les auteurs d'articles doivent les fournir sous forme électronique, déjà mis en page selon la charte graphique de la revue, lequel travail se fait bien sûr aux frais de l'État. Plus encore, la plupart des contrats passés entre les éditeurs et les bibliothèques publiques incluent une clause interdisant le renouvellement d'un abonnement à un tarif inférieur à celui de l'année précédente : ainsi, lorsqu'une bibliothèque veut s'abonner à la version électronique d'une revue à laquelle elle était déjà abonnée, elle est tenue de souscrire cet abonnement en sus de celui à la version imprimée. Impossible de remplacer la version imprimée par la version électronique, puisque cela ferait baisser les revenus de l'éditeur, ce que le contrat interdit. Pour obtenir plus d'informations sur les tarifs en vigueur, et les abus pratiqués par les grandes maisons d'éditions, je vous invite à prendre contact avec les organisateurs du réseau COUPERIN, qui vise à négocier des tarifs de groupe pour de nombreuses bibliothèques universitaires françaises.

Cet état de fait dure depuis de nombreuses années, mais un nombre important de chercheurs a décidé de réagir, et de lutter contre l'emprise de ces grands groupes. La révolte a été lancée au début de l'année à l'instigation du mathématicien britannique Timothy Gowers, qui a décidé de boycotter Elsevier, en refusant de publier chez eux, et de participer à leurs comités de lecture. Il fut suivi très peu après par trente-quatre mathématiciens, majoritairement britanniques, américains et français, qui publièrent un article expliquant en détail les motivations de ce boycott, et que l'on peut trouver à cette adresse http://gowers.files.wordpress.com/2012/02/elsevierstatementfinal.pdf. Dans le même temps, ces chercheurs ont lancé la pétition intitulée The cost of knowledge, appelant à pratiquer le même type de boycott qu'eux, et qui a été signée par plus de douze mille chercheurs du monde entier à l'heure où j'écris ces mots. Le dix-sept avril, c'est l'Université d'Harvard qui avoue qu'elle n'a plus les moyens de satisfaire aux exigences des maisons d'éditions : ce sont pas moins de 3,73 millions de dollars qui sont engloutis cette année pour accéder à des travaux de recherche intégralement financés par des fonds publics.
Malheureusement, dans l'état actuel des choses, boycotter les principales maisons d'édition scientifique représente un gros risque. Les chercheurs sont en grande partie évalués sur leur capacité à publier dans des revues célèbres, toutes en mains privées. Aussi, refuser de passer par leurs services signifie mettre un coup d'arrêt à leur carrière. Quant aux services de documentation, ils ne peuvent se permettre de couper l'accès des chercheurs aux publications scientifiques réputées sans que le travail des dits chercheurs n'en pâtisse. Il apparaît dès lors nécessaire que les États prennent l'affaire en main, et mettent en place des solutions qui permettent de détricoter l'écheveau de dépendances qui donne tant de pouvoir à ces maisons d'éditions.

Aux États-Unis, une pétition d'initiative populaire — consultable sur Internet à l'adresse https://petitions.whitehouse.gov/petition/require-free-access-over-internet-scientific-journal-articles-arising-taxpayer-funded-research/wDX82FLQ — demande que toute publication résultant de recherches financées par des fonds publics soit accessible gratuitement et librement sur Internet. De son côté, le ministre britannique de l'éducation et de la recherche a décidé de mettre en place d'ici à 2014 une structure informatique gratuite, permettant aux chercheurs de publier en ligne, et que leurs publications soient directement relues et commentées par les autres chercheurs.
C'est à mon avis un mélange des deux qu'il faudrait introduire en France. D'une part casser le monopole des éditeurs en obligeant la publication électronique gratuite de toute recherche publique, et la vente à prix coûtant d'une éventuelle version imprimée. D'autre part mettre en place un processus de publication financée par l'argent public qui remplace avantageusement ces mêmes éditeurs en se passant d'un intermédiaire de moins en moins nécessaire. Le coût de cette structure serait amplement couvert par la diminution drastique des frais d'acquisition imposés aux services de documentation, et l'on pourrait à terme faire des économies bienvenues en cette période de réduction des dépenses publiques.

En espérant que vous donnerez une suite favorable à ma requête, veuillez agréer, Madame la député, camarade, l'expression de mes sentiments distingués.




S'ensuivent mon nom, mon adresse et tout le bataclan, que je ne peux bien sûr reproduire ici.

19 juin 2012

Ciel mon fasciste !

À sa une du 13 juin, le Canard Enchaîné, journal que j'aime beaucoup au demeurant, a publié un petit article à propos des législatives dans la troisième circonscription du Vaucluse, alias Carpentras-Sud, alias « chez les fachos ». Je ne le retranscrirai pas, des fois que l'ACTA finisse par passer, je pourrais me faire emmerder ... Mais pour résumer, le « Canard » reprochait vertement à Mme Arkilovitch, candidate PS, de refuser de se désister en faveur de M. Ferrand, candidat UMP, de sorte que celui-ci pût l'emporter sur la désormais célèbre Marion Le Pen. Il mentionnait également le peu d'entrain que mettaient les instances du PS en Vaucluse à faire appliquer la consigne venant de Paris. Les élus locaux signalaient en effet qu'ils n'avaient aucune envie de faire une fleur à l'UMP quand son candidat à Arles se désistait en faveur du FN pour faire tomber M. Vauzelle, député PS sortant. Ils soulevaient aussi la difficulté d'annoncer à leurs électeurs que le PS se retirait alors qu'il est si rare de le voir au second tour d'une élection dans ce département. Le « Canard » ponctuait l'article de cette pique assassine : il serait tellement plus simple d'expliquer à la France entière que l'on a fait entrer une Le Pen à l'Assemblée !
Ce n'est pas la première fois que ce journal publie des articles où il fustige les électeurs du FN, ou encore où il martelle la nécessité absolue d'empêcher ce parti d'accéder à quelque mandat que ce soit, et ce y compris s'il faut se compromettre avec le camp opposé. Le « Canard » n'est pas le seul média à diaboliser ainsi le FN — pour employer le terme consacré — il est simplement le seul que je lis.

Et à la longue, j'en ai assez. Non pas que je sois un farouche partisan du FN. Ceux qui me connaissent savent que j'en suis très loin. Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je navigue électoralement entre le Front de Gauche, Europe Écologie, et le Parti Pirate. Seulement il se trouve que je vis depuis un an à Carpentras. Et même dans un quarrtier « défavorisé » de Carpentras : comprendre, la moitié de la population est d'origine maghrébine plus ou moins récente, et accessoirement de confession musulmane plus ou moins extravertie. Je ne vais pas raconter mes déboires en détail : ce serait trop long, et je m'attends toujours à la réaction de celui qui n'a jamais connu une telle situation, visant à mettre en doute mon honnêteté intellectuelle et ma capacité à faire la part des choses. Alors je me contenterai de citer quelques exemples frappants, de ceux qui m'ont fait prendre conscience que les convictions politiques à base de tolérance souffrent méchamment à l'épreuve de certaines réalités.
J'ai assisté une nuit à un incendie de voiture. Les jeunes qui ont fait ça ne se sont pas contentés de brûler le véhicule, ni d'insulter copieusement son (sa ?) propriétaire. Non, ils se sont sentis obligés de caillasser les pompiers venus éteindre l'incendie. La police a fini par les disperser au flashball. Puis ils sont passés devant ma fenêtre et j'en ai très distinctement entendu un dire « va chercher la voiture, y'a des cartouches dans le coffre ». Ne sachant pas encore à ce moment-là qui avait tiré en premier lieu, je me suis dépêché d'aller me cacher derrière des volets.
Je peux comprendre qu'on me trouve étroit d'esprit quand je tique de voir que la plupart des hommes d'un certain âge dans mon quartier portent la jellabah. Je suis d'accord que faire une loi sur le voile intégral quand cela ne concerne que quelques milliers de personnes paraît un peu dérisoire, et on est en droit de penser qu'il ne s'agit là que d'une vile manœuvre démagogique pour racler les voix du FN. Mais franchement, voir une gamine de quatre ans en tchador, ça fait mal !
Trois à quatre fois par mois, je me fais traiter de sale Juif car je porte un chapeau noir — italien, soit dit en passant, et le précédent était arlésien — et que j'ai une barbe, vaguement difide. Pour ce que je vis dans une ville avec 40 % d'électeurs du FN, vous seriez en droit d'être surpris que ces remarques ne viennent jamais, et je dis bien jamais, d'un « Français de souche » : il n'y a que les jeunes Maghrébins pour m'insulter à cause de mon origine ethno-religieuse supposée.
Un jour, une femme de ma famille est passée à la maison. Puis quand elle est repartie, elle a vu de jeunes Maghrébins assis près de la porte, et naturellement leur a dit bonjour. C'est tout aussi naturellement que ces derniers l'ont gratifiée d'un « Salope ! » bien senti pour toute réponse.
Ces anecdotes sont toutes parfaitement authentiques, et aucune n'a été enjolivée pour l'occasion. Non, non, même pas le coup des cartouches dans le coffre ...

Alors je ne pense pas que voter pour le FN soit la solution. Car le FN, c'est aussi la remise en question de certains principes démocratiques, l'apologie du christianisme, et une autarcie difficilement envisageable à court terme.
Mais peut-être qu'il serait temps que les partis dits « parlementaires » admettent que le vote FN est un vote de conviction, et que la plupart de ces électeurs sont des gens comme vous et moi, et non de gros fachos nostalgiques du Troisième Reich. Et peut-être qu'il serait temps que ces partis se demandent pourquoi ces gens votent pour le FN et qu'ils leur proposent une alternative crédible aux solutions proposées par le FN.
Il serait peut-être temps que l'on admette dans le débat public qu'il y a un problème avec une partie de la population d'origine maghrébine, et que ce problème doit être résolu, d'une manière ou d'une autre. J'insiste sur ce point : je ne suis pas contre l'immigration, je pense que c'est dans l'ensemble plutôt une bonne chose ; mais le fait est qu'il y a de la part d'une partie de la population arabo-musulmane de France un refus de s'intégrer et une tendance tenace à l'incivilité que l'on ne rencontre pas chez les immigrés d'origine européenne , asiatique, ou d'Afrique noire. Et le même problème se rencontre chez une partie de la population rom. Pour être plus précis, ce sont généralement les immigrés de troisième génération qui posent un problème : ils sont Français, veulent jouir des droits qui découlent de cette nationalité, mais sans se plier aux devoirs y afférant.
Peut-être qu'il serait temps de laisser tomber l'angélisme selon lequel il faut accepter toutes les cultures. Non, même s'il faut se montrer ouvert d'esprit pour ne pas se racornir sur soi-même, on n'est pas obligé d'accepter n'importe quelle culture. Notamment, quand une culture crache sur les fondements de la loi de la République — l'égalité entre hommes et femmes, inscrite dans la Constitution, pour ne citer que celui-là — cette culture doit être farouchement combattue sur le sol de la dite république. Et ce n'est pas parce que nous-mêmes n'appliquons pas encore ces principes aussi à plein que nous le devrions que nous avons à tolérer que d'autres gens, que nous avons la bonté d'accueillir sur notre territoire, les rejettent en bloc : lorsque Laurence Ferrari est allé en Iran, elle a mis le voile, car c'est ce que veut la loi locale !
Il serait peut-être temps aussi que l'on reconnaisse dans les milieux parisiens bien informés que même si c'est de la jalousie, il est légitime qu'un certain nombre de gens voient d'un mauvais œil les milliards dépensés dans le seul but de calmer les turbulentes populations des cités en leur offrant autant de confort que faire se peut — le nom officiel, c'est « ministère de la Ville » — quand dans le même temps le moindre bled de mille habitants en région parisienne (Chamarande, par exemple) est mieux desservi par le RER que nombre de chef-lieux de département ne le sont par le train : Gap, Digne, Guéret ...

Pour résumer, les électeurs du FN ne sont pas tous des néo-nazis antisémites et anti-démocratiques. Nombre d'entre eux sont simplement des laissés pour compte de la politique jacobiniste de la France, qui voient leur propre lieu de vie se faire envahir par des gens dans la culture desquels ils ne se reconnaissent pas, et qui ne font eux-mêmes aucun effort pour s'adapter à la culture du lieu où ils s'installent. Et pour cette raison, ajouté du fait d'avoir vécu une partie de leur calvaire, je n'accepte pas qu'on en parle comme des monstres amoraux qu'il faudrait bannir de la vie politique et empêcher d'exprimer leur désarroi.
Marion Le Pen est une élue du peuple, et si elle fait bien son travail de faire remonter au niveau national les aspirations de ses électeurs, elle est aussi légitime que n'importe quel autre député. Et je m'interroge sur la légitimité de l'Alliance centriste qui avec moins de 1 % des voix au premier tour a autant de sièges que le FN qui en a ramassé plus de 13 % ...

3 juin 2012

Circonvenir le circonflexe

Dans l'article précédent, j'avais mentionné le fait que l'orthographe française pourrait mériter un toilettage, afin de la débarrasser des principales scories qui rendent son apprentissage difficile, sans pour autant perdre les bénéfices à la lecture d'une orthographe complexe. Sans me lancer dans une réforme générale de l'orthographe, qui de toute manière serait vouée à l'échec tant la transition serait rude, il est un point sur lequel je voudrais m'appesantir : l'accent circonflexe.

L'usage actuel : un fouillis sans nom.

Pour cette partie, je m'appuie beaucoup sur l'article de Wikipédia, qui brosse fort bien l'ensemble du tableau, sans en oublier les coins.

On peut distinguer quatre usages à ce diacritique, d'importance variable.

L'amuïssement d'une lettre.
Il s'agit là de l'usage le plus connu, qui consiste à garder graphiquement la trace d'une lettre qui ne se prononce plus depuis bien longtemps. C'est le plus souvent un -s- qui a disparu, comme dans « forêt », ou « arrêter ». Mais ce peut également être un -a- comme dans « âge », un -e- comme dans « sûr », ou encore un -x- dans « dîme ».
Cependant, malgré l'habitude de transcrire les anciens -eu- prononcés [y] par un -û- (comme dans « sûr »), l'accent a été supprimé dans tous les participes passé en -u comme « su » ou « plu ». Enfin, presque tous, voir plus loin. Et le participe passé de « avoir » s'écrit toujours « eu ».
Une autre exception notable est le maintien de la forme « il est » lorsque l'on attendrait « il *êt », en accord avec « être » et « vous êtes ».

Une différence de prononciation.
L'accent peut également signaler une prononciation particulière de la voyelle qu'elle porte. Par exemple, « pâte » n'est pas censé se prononcer comme « patte », même si cette distinction est en passe de disparaître en France métropolitaine. De même, en français standard, -ô- représente un [o] fermé comme dans « crapaud » : cette prononciation peut venir d'un -s- amuï, mais pas forcément, elle peut aussi venir d'un oméga grec. Enfin, le -ê- a une prononciation exactement équivalente à un -è-. De ce fait, l'accent circonflexe n'est en principe pas conservé dans les mots dérivés quand la prononciation change : on écrit « cône » avec un [o] fermé, mais « conique » avec un [ɔ] ouvert.
Il y a cependant des exceptions : « bêtise » est prononcé avec un [e] fermé, mais l'accent circonflexe est tout de même présent pour marquer la présence d'un ancien -s-.

Un diacritique à proprement parler.
Dans quelques cas, le circonflexe ne sert qu'à distinguer entre deux mots de prononciation exactement similaire mais de sens différent. On trouve par exemple le participe passé « dû » qui sert à le distinguer du déterminant « du ». Ou encore, la P3 de l'imparfait du subjonctif ne se distingue de la P3 du passé simple que par la présence d'un accent circonflexe, et ce pour tous les verbes.
On ne fait cependant pas la distinction entre « plu » venant de « pleuvoir » et « plu » venant de « plaire », alors même qu'elle serait tout à fait justifiée.
À noter également que le verbe « haïr » ne porte pas de circonflexe là où on l'attendrait dans d'autres verbes, à cause de la présence plus importante du tréma.

Une pure convention.
Dans certains cas, le circonflexe ne peut s'expliquer par aucune des origines précédemment citées. On écrit « suprême » pour donner plus de prestige au mot. La présence, justifiée par l'étymologie, d'un circonflexe à la P5 du passé simple a été étendue par analogie à la P4. Et quelques mots comme « traître » portent un circonflexe par analogie avec d'autres mots proches.

La réforme de 1990 a tenté de simplifier le fonctionnement ... sans grand succès. Si l'on suit cette réforme, le circonflexe n'est plus obligatoire sur -u- et sur -i-, sauf dans les terminaisons de passé simple et de subjonctif imparfait, et en cas d'homonymie. Ouf ! Autant dire que cela ne change pas grand chose ...

Comme on le voit, il est difficile de s'y retrouver, surtout en raison des exceptions. Comment simplifier la chose, alors ? Pour commencer, le circonflexe par pure convention n'a pas de raison d'être, et le plus simple est encore de le supprimer. On pourrait dès lors écrire <nous chantames l'éloge du héros suprème qui sut déjouer les plans du traitre> et la lecture n'en serait pas plus difficile. Ni plus simple d'ailleurs. En revanche, cela ferait quelques points de détail en moins à apprendre.
Ensuite, l'idéal serait de restreindre le circonflexe à un seul de ses usages actuels, et alors d'en régulariser l'usage en éliminant autant que possible les exceptions.

Le circonflexe phonétique.

C'est à mon sens la plus mauvaise des solutions.
J'ai déjà dit dans l'article précédent qu'une orthographe se doit, à mon sens, de pouvoir retranscrire les différentes variantes phonétiques de la langue. Or, donner au circonflexe une valeur purement phonétique, ou tout simplement conserver la valeur phonétique du circonflexe, va à l'encontre de cette idée.
L'orthographe française conserve des graphèmes multiples pour des phonèmes exactement semblables sur tout le territoire, comme -eau- et -aud, ainsi que des graphèmes semblables pour des prononciations différentes, comme -en- qui se prononce généralement comme -an-, par exemple dans « prendre », mais se prononce comme -in-, dans « référendum » ou dans nombre de toponymes (« Rabastens ») ou d'anthroponymes (« Janssens »). Alors pourquoi conserver une distinction graphique entre deux variantes de -a-, lorsque la dite variante a presque disparu du français de France ? Pourquoi noter graphiquement la distinction entre [o] fermé et [ɔ] ouvert, lorsque ces deux phonèmes sont des allophones sur la moitié du territoire ?
Sur cette question, je prendrai l'exemple de la norme classique de l'occitan. Créée par Louis Alibert dans les années 1930, c'est une orthographe qui a pour but de transcrire l'occitan de telle sorte qu'un même mot soit écrit de la même façon sur tout le territoire, quelle que soit la prononciation exacte dans la variante locale. Ainsi, on écrira « porta », que l'on soit à Toulouse où l'on prononce « pourto », à Toulon où l'on prononce « pouorto », à Nice où l'on prononce « pouorta », à Sète où l'on prononce « pourta » ou à Pau, où l'on prononce « pourte ». Cette norme a fait ses preuves, puisqu'elle a réussi à s'imposer sur le plus gros du territoire occitan, même en Béarn où la graphie fébusienne, plus proche de la prononciation réelle, était fortement ancrée.
C'est pourquoi je suis d'avis d'appliquer, au moins en partie, le même principe au français. Écrivons <trone>, et laissons chacun libre de le prononcer [tRon] ou [tRɔn] ou encore [tRɔnə]. De même, écrivons <ame>, qui est plus proche de la prononciation de la plupart des Français, et n'empêchera pas ceux qui prononcent [ɒm] de continuer à le faire. Le problème qui émerge est celui du -e- : il sert à transcrire à la fois -é- et -è-, qui peuvent être des allophones, mais aussi le -e- dit muet — qui se prononce dans certaines variantes — et le son habituellement transcrit par -eu-, comme dans « je ». La solution est peut-être d'utiliser la notation -é- pour transcrire les sons actuellement notés par -é-, -è- et -ê- et la notation -e- pour transcrire le -e- muet et celui de « je ». On écrirait alors <féte>, que l'on prononce [fɛt] comme dans le Nord, [fɛtə] comme dans le Sud, ou [fet] comme en Corse.

Le circonflexe étymologique.

Conserver une graphie archaïsante, uniquement pour garder une trace du passé, ce serait stupide. Il faut que cela se justifie autrement, par exemple pour conserver un lien graphique entre mots d'une même famille, ce qui facilite la lecture (cf. l'article précédent). C'est ce qui justifierait de conserver l'orthographe « arrêt », pour maintenir le lien avec « arrestation ». Il faudrait cependant régulariser cet usage, qui est actuellement trop pollué par de multiples exceptions. Comment faire ?

Le circonflexe grec.
Il s'agit de celui que portent nombre de mots qui viennent d'un ancien oméga, par exemple « cône » ou « diplôme ». Il faudrait alors le rétablir dans tous les mots qui ont cette origine, mais où il n'est pourtant pas présent, par exemple « axiome » devrait alors s'écrire <axiôme>. Il faudrait également le rétablir dans les mots dérivés, comme « conique », qui deviendrait <cônique>.
Cela ne me paraît cependant pas nécessaire, ni judicieux. Il est plus simple de faire disparaître le circonflexe là où il existe : le lien graphique avec les mots de la même famille serait alors rétabli, et les mots comme « axiome » redeviendraient normaux. De plus, un changement dans ce sens affecterait moins de mots.

Une lettre disparue.
Dans le cas du circonflexe qui garde le souvenir d'une lettre disparue, il s'agit de trouver la limite à ne pas dépasser dans l'étymologie. Faut-il écrire <aimêe>, pour rappeler le -t- disparu de « amata » en latin ? Cela paraît évidemment excessif. Aussi cette notation devrait être réservée aux mots dont tout ou partie du reste de la famille lexicale a conservé la lettre disparue. Par exemple, on conserverait « forêt » pour faire le lien avec « forestier », ou encore « bâtir » pour faire le lien avec « bastide ». En revanche, il n'y a aucune raison de conserver l'accent circonflexe de « bête », puisque toute la famille utilise le même radical : « bêtise », « bêtisier », « bêtement », etc. On ne perdrait en rien le lien étymologique avec les autres mots de la famille en écrivant <béte>, <bétise>, <bétisier>, et <bétement>. Il en va de même pour « côte » et ses dérivés (ce qui permettrait d'ailleurs de régulariser l'orthographe de « coteau »), pour « dîme », ou pour « même ». De même, il ne serait pas nécessaire de conserver le circonflexe de la P5 du passé simple, puisqu'elle n'a aucun dérivé, ni le circonflexe du verbe « être », puisque ses dérivés sont écrits comme dans « étant ».
Quelques mots sont un peu plus difficiles. Faut-il conserver l'accent sur « île » pour conserver le lien avec « insulaire », alors même qu'aucun autre mot de la famille n'a conservé le -s- ? Ou bien faut-il considérer que « insul- » est un radical aussi différent de « îl- » que « hépat- » l'est de « foie » ? Je pencherais plutôt pour la seconde solution.
Par ailleurs, il faudrait l'introduire dans d'autres mots, comme « édit » pour maintenir le lien avec « édicter », sauf à considérer que le circonflexe marque exclusivement la présence d'un ancien -s-. Mais dans ce cas, il serait plus judicieux de ré-introduire le -s-, qui ne serait alors qu'une lettre muette parmi tant d'autres.

Le circonflexe diacritique.

C'est surement là que l'accent circonflexe est le plus directement utile : permettre de différencier au premier coup d'œil deux homonymes. Mais il faudrait alors en régulariser l'usage.
Ainsi, il faudrait écrire d'un côté <plu> et de l'autre <plû> pour distinguer les participes passés de « pleuvoir » et de « plaire ». Mais dans le même temps, il faudrait corriger certaines orthographes aberrantes : ainsi, « il est » devrait devenir <il êt>, dans le but de maintenir la distinction avec la conjonction « et ». Il faudrait aussi corriger le participe passé « eu », dont la graphie archaïsante ne se justifie pas par un lien avec le reste de la conjugaison de « avoir », en <û>, de manière à le distinguer de la simple lettre « u ». Encore que son usage extrêmement courant pourrait suffire à faire la distinction : c'est déjà le cas du pronom « y ».
Comment choisir quel mot devra porter l'accent ? Je crains qu'il ne soit pas possible d'édicter une règle générale. Il est en effet tentant de décréter que le mot le moins courant portera le diacritique. Mais s'il apparaît clairement que la préposition « sur » est plus courante que l'adjectif « sûr », en revanche c'est l'adjectif féminin « sûre » qui est plus courant que l'adjectif féminin « sure » : ce qui impliquerait, pour être parfaitement rigoureux, qu'un même adjectif change d'orthographe selon son genre et son nombre, ce qui n'est pas souhaitable.
Par ailleurs, se pose la question de savoir s'il faut étendre la présence d'un tel circonflexe à tous ses dérivés. Il n'y a pour l'instant pas d'usage fixé : on écrit « mûrir » mais « dues ». Cela pourrait être parfois assez lourd : si l'adjectif « pâle » se doit d'être distingué du substantif « pale », il paraît en revanche assez fastidieux d'étendre le circonflexe à « pâlir », « pâlotte », « pâlichon », etc. qui ne risquent pas d'être confondus avec un homonyme. Cela ne se justifie que pour « pâli », qu'il faut distinguer de la langue « palie » et pour « pâlot », qu'il faut distinguer du « palot » que l'on roule. On peut alors décider qu'un accent circonflexe se transmet à tout le paradigme, si et seulement si le mot de base porte un circonflexe discriminant. Par exemple, on écrira <dû> pour le différencier de <du>, mais également <dûe(s)> et <dûs> pour maintenir la cohérence au sein du paradigme, mais <dument>. De même, on écrira <âge> pour distinguer de <age>, mais on écrira <agé> : ou mieux, c'est l'instrument aratoire qui s'écrira <âge>, puisque « âge » est beaucoup plus courant, et possède des dérivés. En revanche, on conservera la distinction entre « dites » le présent et « dîtes » le passé simple, sans étendre le circonflexe au reste du paradigme. Idem pour la distinction passé simple / subjonctif imparfait.
Il reste un problème dans le cas où trois mots différents s'écrivent pareil : par exemple « jeune » l'adjectif, « jeûne » le substantif, et « il jeûne » ou « il jeune », ou « sur » la préposition, « sur » l'adjectif et « sûr ». Je n'ai pas trouvé de solution satisfaisante. De même pour les formes de « haïr » qui attendraient un circonflexe.

En guise de conclusion.

S'il ne fallait conserver qu'une seule des propositions ci-dessus, je choisirais la troisième. Mais la deuxième peut avoir son intérêt aussi.
Alors se pose la question de comment les combiner. Il faudrait leur donner un symbole différent à chacune. Pour le circonflexe étymologique, on pourrait utiliser à la place un tilde : c'est un symbole qui n'est plus utilisé de nos jours que dans des mots étrangers, mais qui autrefois servait à marquer l'omission graphique de tout ou partie du mot. Pour le circonflexe diacritique, on pourrait utiliser plutôt un accent grave : c'est déjà ce symbole qui sert à distinguer « a » de « à », « la » de « là » et « ça » de « çà ».

Il reste un dernier accent circonflexe dont il n'a pas été question, c'est celui de « piqûre » : il sert à signaler la présence ancienne du digraphe -eu- prononcé [y], mais surtout à marquer le fait que le -u- ne fait pas partie du digraphe -qu- mais doit se prononcer à part. Et dans un tel cas, c'est un tréma qu'il faut normalement utiliser. Ce qui donnerait <piqüre>, ce qui n'est pas gênant.

Pour terminer, voici ce que donnerait un texte écrit en suivant les préceptes indiqués ci-dessus.

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Comme vous pouvez le constater, la différence n'est pas flagrante avec l'orthographe actuelle : la transition ne serait pas difficile. Il est à noter que « sous » et « été » n'ont pas d'accent grave car ils sont bien plus courants que <soùs> le pluriel de « sou » et que <èté> la saison.

1 mai 2012

Ortograf 2012 ou la réforme dont le ratage n'a d'égal que sa nocivité

Aujourd'hui, je désire critiquer vivement le projet de réforme de l'orthographe française porté par le groupuscule Ortograf 2012. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, il suffit de visiter leur site pour comprendre. En résumé, il s'agit de créer une orthographe purement phonologique du français, qui serait censément plus simple à apprendre et à employer. De fait, l'ensemble de la norme tient en une page, ainsi que nous le montre ce PDF.

Il est vrai que le français a une orthographe complexe, et qui demande des efforts certains pour être maîtrisée. Peut-être qu'un petit toilettage ne ferait pas de mal. Mais la réforme proposée par Ortograf 2012 est mauvaise, et c'est ce que je vais m'attacher à montrer en trois temps.

La norme proposée ne tient pas ses engagements.

Pour cela, je m'appuie sur le PDF fourni plus haut. Je fais mention des règles par leur numéro, avec le préfixe RB pour les règles de base et RO pour les règles optionnelles. Quant aux tolérances provisoires, je ne les prends pas en compte, puisque justement elles sont provisoires, donc destinées à ne plus faire partie de la norme dans un proche avenir.

Premièrement, la norme est contradictoire en plusieurs endroits.
D'après la RO2, la présence graphique du e muet est optionnelle, et pourtant la RB4 rend son usage obligatoire dans certains cas. En effet, ce e muet est le seul moyen de distinguer <van> (vent) de <vane> (vanne), ou encore <tron> (tronc) de <trone> (trône).
La RB3 impose l'usage d'un seul signe graphique pour toutes les variantes phonétiques d'une même voyelle (niant d'ailleurs le fait que ces voyelles sont des phonèmes différents en français standard, mais passons). Pourtant, la RB1, ainsi que le texte des règles, montre que l'on doit utiliser deux signes différents pour [e] et [ɛ] : respectivement <é> et <è>.

Deuxièmement, la norme laisse une place à l'arbitraire.
C'est la RO4 qui est la plus claire sur la question. Les homophones courants peuvent être distingués par des diacritiques. Liberté totale est laissée quant au diacritique à utiliser, et quant au mot qui doit le porter. On pourra me répondre qu'il s'agit d'une règle optionnelle, et que l'observance de la norme stricte ne pose pas ce problème.
Alors voyons le texte des règles. On y voit écrit d'une part <lè> (les), <sè> (ses), <dè> (des) et d'autre part <porté> (porter), <distingé> (distinguer). Pourquoi ? Pourquoi utiliser deux symboles différents, alors que le son représenté est exactement le même en français standard ? Pourquoi utiliser pour les déterminants un symbole qui ailleurs représente un son différent, cf. <èl> (elle) ? Cette décision est purement arbitraire.

Troisièmement, la norme est en partie illogique, au regard du fonctionnement de la phonétique française.
La RO3 recommande d'écrire un son servant uniquement à lever le hiatus entre deux mots successifs en le reliant au mot précédent par un tiret. Pourtant, c'est avec le mot suivant que cette liaison entretient le rapport le plus étroit. En effet, c'est le mot suivant qui génère l'apparition d'un hiatus, et donc nécessite une consonne de liaison. De plus, la présence ou non d'une liaison ne permet pas de distinguer entre deux homophones du mot précédent, mais bien entre deux homophones du mot suivant. Par exemple, <un-n ètre> (un être) distingué de <un ètre> (un hêtre). Aussi le tiret devrait-il être, en bonne logique, entre la consonne de liaison et le mot suivant.
La RO1 me laisse perplexe. Que l'on introduise un diacritique pour marquer le pluriel, qui est phonétiquement identique au singulier, pourquoi pas. Mais pourquoi le restreindre aux substantifs ? Pourquoi ne pas l'utiliser avec les adjectifs, pourtant fortement liés aux noms ? Pourquoi ne pas s'en servir pour distinguer <il cour> (il court) de <il+ cour+> (ils courent) ? C'est absurde.

Voilà en quoi la norme telle qu'elle est proposée ne peut être acceptée, puisqu'elle n'atteint même pas l'objectif qu'elle s'est fixé. Voyons maintenant en quoi ledit objectif, à savoir obtenir une orthographe purement phonologique, est mauvais en soi.

L'irrégularité de l'orthographe, un mal nécessaire.

Parce qu'il est de coutume lorsque l'on parle de la complexité de l'orthographe française de vanter la simplicité de l'orthographe de nos voisins, je m'en vais faire un petit tour d'horizon des orthographes que je connais.
Il existe, en effet, quelques orthographes parfaitement régulières. À ma connaissance, elles existent presque exclusivement pour des langues qui ont commencé à être écrites il y a moins de deux siècles, comme les langues indigènes d'Amérique, ou de Sibérie. On trouve également une orthographe pleinement régulière en finnois. Pour le reste ...
Cela fait bien longtemps que des intellectuels anglais critiquent la complexité excessive de l'orthographe anglaise, et surtout britannique. On connaît la boutade qui veut que fish devrait s'écrire <ghoti>, puisque <gh> se prononce [f] dans laugh, <o> se prononce [i] dans women, et <ti> se prononce [ʃ] dans tous les mots en -tion. L'allemand aussi, réputé pour sa rigueur, possède plusieurs graphèmes pour écrire les mêmes sons : par exemple, la diphtongue [ɔʏ] peut s'écrire <eu> ou <äu>, et rien ne permet de choisir quelle graphie est la bonne, en dehors de l'étymologie. En russe, <о> se prononce [a] lorsqu'il précède immédiatement l'accent, et il n'est pas question de l'écrire <а> pour autant. Même le japonais possède quelques irrégularités ! La syllabe [ɰa] s'écrit normalement <わ>, mais lorsqu'il s'agit de la particule de thème, elle s'écrit <は>, qui se prononce normalement [ha]. Et les exemples seraient encore nombreux, mais on ne va pas tous les parcourir.

Alors pourquoi toutes ces langues conservent-elles de telles irrégularités ? Les simplifications orthographiques de l'américain n'ont pas fait disparaître toutes les graphies à première vue aberrantes du britannique, loin de là. Les réformes orthographiques menées en Allemagne ces dernières années n'ont pas envisagé un seul instant de toucher à la distinction <äu> / <eu>. Pourquoi cela ? Tout simplement, parce que l'orthographe ne sert pas seulement à écrire, mais également à lire. Et ce qui simplifie la vie du scripteur, peut rendre la lecture plus complexe. Il y a deux raisons principales qui justifient de garder une orthographe irrégulière, car elle facilite la lecture.

Le cerveau humain fait des associations. Et une fois une association faite, il devient très difficile de s'en débarrasser. De plus, le cerveau cherche absolument à donner du sens à ce qu'il voit, en associant l'image à quelque chose de connu. C'est le principe des tableaux d'Arcimboldo. Le peintre n'y a représenté que des fruits et autres végétaux, et pourtant notre cerveau y voit des visages. De la même manière, notre cerveau est capable de reconnaître des lettres, même si elles sont très déformées.
Ce qui est important ici, c'est que la reconnaissance d'une forme connue, fût-elle déformée, et son association à un sens, est un processus cognitif infiniment plus rapide que l'analyse raisonnée. Gardez cela en tête pour la suite.

Raison n°1 : distinguer des homophones.

Il est généralement possible de distinguer deux homophones, même écrits semblablement, en analysant le contexte. Par exemple, l'adjectif « sûr » et la préposition « sur » ne s'emploient pas dans le même environnement. Aussi, si l'on analyse finement le contexte d'utilisation, il n'est pas possible de les confondre. 1 Mais pour le cerveau, il est bien plus rapide d'associer deux glyphes à deux sens différents, quoique à un même son, que d'analyser le contexte graphique, pour déterminer laquelle de deux associations d'un même glyphe à deux sens différents est la bonne. Avec des mots plus simples, le cerveau a plus de facilité à distinguer d'un simple coup d'œil <verre> de <vers> qu'à analyser la différence de contexte entre <bouar un vèr> et <vèr midi>.

Et cela, le français n'est pas la seule langue à le faire, loin s'en faut.
L'allemand distingue graphiquement <mehr> (= plus) de <Meer> (= mer), alors même que ces deux mots se prononcent exactement de la même façon.
L'anglais écrit <read> quand il est question de lire, et <reed> quand il est question de roseau, même si les deux se prononcent [riːd].
En norvégien, on fait graphiquement la différence entre <hund> (= chien), <hun> (= elle) et <hunn> (= femelle) qui sont indiscernables à l'oral.
Le polonais use de ses nombreux diacritiques pour ne pas confondre <morze> (= mer) et <może> (= peut-être).
Même l’italien ressent le besoin de ne pas confondre <hanno> (= ils ont) et <anno> (= année) !
Je vais m'arrêter là sur les exemples, car ils sont foison.

Raison n°2 : préserver le lien entre mots d'une même famille.

C'est là le deuxième type d'association que le cerveau peut faire pour accélérer la lecture, et qui serait rendu impossible par l'utilisation d'une orthographe purement phonologique. Le cerveau peut en effet faire des connexions entre plusieurs glyphes ayant une partie commune, et dont le sens associé est également proche. C'est d'avoir une orthographe un peu complexe qui permet au cerveau de ne lire que le début de <maîtriser>, et de pouvoir déjà orienter le sens plutôt vers « maître » que vers « mettre » ou « mètre ».
Là encore, d'autres langues le font aussi.
L'anglais fait la différence graphique entre <new> (= nouveau) et <knew> (= connut), de prononciation exactement similaire. Mais pourquoi est-ce le second qui a un k- initial ? Tout simplement pour faciliter le rapprochement de sens avec <know> (= connaître), qui lui même se doit, pour la raison explicitée ci-dessus, d'être distinct de <no> (= non).
En allemand, « dévastateur » s'écrit <verheerend> — alors que le double -e- n'est pas nécessaire pour transcrire le son long — pour conserver le lien avec <Heer> (= armée), qui lui doit être distinct de <her> (= venant de).
Le russe <хорошо> (= bien) se prononce [xəra'ʃo], mais il ne viendrait pas à l'idée de l'écrire <хорашо>, qui se prononcerait pourtant pareil, car cette première orthographe rappelle celle de <хороший> (= bon) qui lui se prononce [xa'roʃɨj].

Voilà donc ce qui justifie l'usage d'une orthographe irrégulière, dans l'idée qu'un petit effort supplémentaire au moment de l'apprentissage, permet d'économiser beaucoup de petits efforts au cours de toutes les lectures que l'on sera amené à faire. Voyons la deuxième raison pour laquelle une orthographe phonologique est une mauvaise idée en soi.

Une négation de la variabilité de la langue.

Comme le dit si bien la RB2, c'est sur la phonologie du français standard que s'appuie la norme Ortograf 2012. En voulant faire de cette norme l'orthographe obligatoire pour tous, Ortograf 2012 nie l'existence de prononciations différentes sur le territoire, et surtout de phonologies différentes.
Des enfants de région parisienne qui ne connaîtraient que l'orthographe proposée ici feraient tout de même des fautes, ne sachant pas s'il faut écrire <anbrun> (embruns) ou <anbrin>, pour la bonne et simple raison que la distinction entre [ɛ̃] et [œ̃] n'existe pas dans la prononciation locale. Ce problème apparaît déjà avec l'orthographe actuelle, ou de nombreuses personnes écrivent « emprunt de » au lieu de « empreint de », car les deux se prononcent pareillement pour eux.
De mon côté, je viens d'Occitanie. Et bien, si je ne savais déjà écrire avec une orthographe qui cultive la variabilité, je serais perdu par l'usage que fait la norme Ortograf 2012 des graphèmes <e> et <eu>. En effet, dans ma prononciation, la voyelle finale de « le » et celle de « jeu » sont exactement semblables, mais Ortograf 2012 les écrit différemment. En revanche, Ortograf 2012 utilise le même graphème pour la voyelle finale de « le » et celle de « blanche », qui ont chez moi une prononciation différente. Comment voulez-vous que je trouve ce système logique et prédictible ?

Voilà une raison pour laquelle, tant que le français possédera des dialectes, et j'espère bien que cela sera encore longtemps le cas, une orthographe purement phonologique ne sera jamais adaptée à sa variabilité.

Je pense avoir fait le tour de ma démonstration, et j'espère avoir pu convaincre ceux qui se laisseraient tenter par le projet, ou donner des arguments à ceux qui étaient déjà convaincus de son inanité. Je rajouterai un dernier argument, un peu de mauvaise foi, il est vrai. C'est grâce à notre orthographe si complexe que l'on peut comprendre du premier coup d'œil, et même sans connaître les mots, que « nucléophile » n'est pas un fil à l'énergie nucléaire et que « autochore » a un sens légèrement plus technique que « corps automatique ». Serait-ce aussi évident avec <nucléofil> et <otocor> ?

1 Notons que ce n'est pas toujours possible. Ortograf 2012 pose ainsi un grave problème pour la compréhension de la phrase <il i a un vèr sur la feuy> : s'agit-il d'un ver, d'un verre, d'un vers, ou d'un vair ? Même si certaines sont plus probables, toutes les possibilités ont un sens. La distinction est particulièrement difficile entre ver et vair, qui outre qu'ils sont de la même catégorie grammaticale, appartiennent également au même champ lexical.