16 mars 2013

Mauvais genre

Ayant lu l'article Genre et nom de mon ami kinezana, il m'est apparu que lui répondre prendrait trop d'espace pour un commentaire. Aussi, je m'étale ici.

En premier lieu, je voudrais réagir aux affirmation de Françoise Héritier, par ce simple mot : foutaises ! Ça veut dire quoi, le masculin est supérieur au féminin ? Est‑ce la question de l'accord ? En ce cas, l'islandais est un contre-exemple flagrant : quand des masculins et des féminins sont accordés en commun, le résultat est au neutre pluriel. En tous cas, faire des généralisations sur une notion (l'opposition grammaticale entre masculin et féminin) absente de la plupart des langues du monde est absurde.

Pour le reste, je dirais que le genre est arbitraire, lorsqu'il est étudié d'un point de vue synchronique. En revanche, dès lors que l'on s'y intéresse d'un point de vue diachronique, le genre est presque exclusivement déterminé par la morphologie, dans la langue où il acquiert ce genre.
Prenons l'exemple de « mort » féminin comparé à « Tod » masculin. Le premier vient du latin « mors » féminin, et plus loin de sa forme archaïque « mortis ». Lequel est constitué du radical « mor- », suivi d'un suffixe « -tis » qui est toujours féminin (cf. mens < men-tis, gens < gen-tis, etc.) tout comme son équivalent grec « -sis » (cf. thesis, basis, etc.), ce genre remontant à l'indo‑européen. Le second, lui, vient d'une forme germanique commune « *dauþuz », où le radical « *dau- » (cf. to die) est complété par le suffixe « *-þuz », dont le cognat latin est le suffixe « -tus » de quatrième déclinaison, qui forme des mots exclusivement ... masculins !
Les noms de jours sont tous masculins, car le suffixe -di vient du latin « dies » qui était masculin. De même pour les mois, qui sont d'anciens adjectifs accordés à « mensis » (= mois), un masculin.
À quelques exceptions très spécifiques près, un mot latin voit son genre déterminé par son suffixe, hors quelques catégories déterminées par le sens. De manière assez compréhensible, les noms désignant un homme ou un métier masculin sont masculins. Idem pour les femmes et métiers féminins qui sont féminins. Les peuples sont masculins pluriels car c'est le masculin qui l'emporte dans un ensemble d'animés masculins et féminins. Puis viennent les catégories moins évidentes : les arbres, pays et îles sont féminins et les vents et cours d'eau sont masculins. Il faut, pour comprendre, se souvenir que toutes ces choses étaient animées dans la conception plus ou moins animiste des anciens Latins et de leurs ancêtres indo‑européens. Ainsi, la Terre est une femme, donc les terres / les pays sont des féminins. Les arbres sont habités par des esprit femmes, les dryades des Grecs, ils sont donc féminins. C'est vraisemblablement un phénomène similaire qui est à l'œuvre pour les deux autres catégories.
À noter que si j'ai pris l'exemple du latin parce que c'est celui que je connais le mieux, il en va de même dans les autres langues indo‑européennes.
Et lorsque le genre d'un mot est acquis, il est très rare qu'il en change sans changer de forme, c'est à dire en adoptant un suffixe appartenant à un genre différent. Un cas marquant est celui des arbres : féminins en latins, ils sont masculins en français. Comment l'expliquer ? Par la pression de la morphologie, tout simplement. Les noms d'arbres étaient généralement de la deuxième ou de la quatrième déclinaison, lesquelles étaient très majoritairement masculines, puis les arbres fruitiers ont utilisé le suffixe -ier, masculin lui aussi, et enfin, quelques noms (« chêne », « érable ») viennent du gaulois où ces mots étaient masculins. Les rares noms d'arbre qui auraient pu demeurer féminin auront cédé face à la pression du nombre.

Mais tout cela ne fait que reculer le problème, jusqu'à l'indo‑européen. Comment s'est fait le choix du genre ? Eh bien sûrement de manière tout à fait aléatoire : la distinction entre masculin et féminin n'existait pas en indo‑hittite (alias indo‑européen archaïque). Et tout porte à croire que l'ancêtre direct de celui‑ci ne distinguait pas non plus le neutre : le genre grammatical était une notion inexistante, comme dans les langues ouraliennes par exemple, et lorsqu'elle a émergé, la répartition des mots abstraits s'est faite de manière fortuite.

Quant à la question des noms formés d'un verbe et d'un nom, c'est la question plus générale des noms composés. En allemand comme en latin, c'est le mot final qui détermine le genre ; en français, c'est le premier. Ainsi, on dit une voiture-balai, quand bien même balai est masculin. Et les verbes sont neutres, ce qui prend la forme d'un masculin en français.





Petite note en passant, qui sort du cadre de cet article, mais qui reste dans les questions de linguistique. Vous souvenez-vous de mon article sur l'accent circonflexe ? Si vous avez répondu non, courez le lire. Ceci fait, je rappelle qu'un problème était resté en suspens, celui du verbe « haïr », et de l'impossibilité de conjuguer un tréma et un circonflexe. J'ai finalement trouvé une solution : il suffit de l'écrire « hahir », sur le même modèle que « envahir » ou « ébahir ». Ainsi, il devient possible de distinguer le passé simple « il hahit » du subjonctif imparfait « qu'il hahît » ou « qu'il hahìt », selon la convention employée. Oui, c'est moche. Mais au moins tout le monde s'en souviendrait !

2 commentaires:

  1. Excellent, comme toujours. Fan de la première heure, je reste !
    Garburst

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  2. Premier article lu par ici, mais je sens que je vais éplucher les archives.

    Merci des précisions.

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