24 février 2013

De l'art de tendre le bâton pour se faire battre

Je viens de relire Persepolis de Marjane Satrapi. Évidemment, après une lecture pareille, se pose la question qui tue : comment en est-on arrivé là ? Comment les barbus ont-ils pu prendre et surtout garder le pouvoir ? Comment s'est-on retrouvé avec une telle haine de l'Occident dans un pays qui, il y a peu encore, nous considérait comme un modèle ? Alors je me suis documenté. Et sans prétendre être devenu un spécialiste de géopolitique moyen-orientale, je vous livre un petit résumé, qui pourrait tenir en vérité dans cette simple maxime, malheureusement constamment vérifiée : quand on remue la merde, il faut s'attendre, tôt ou tard, à se faire éclabousser.
L'histoire, c'est long. Remonter vingt ou trente ans en arrière suffit rarement à comprendre les éléments du présent. Il faut généralement aller voir ce que les ancêtres on fait ils y a quelques siècles, et que dans l'ensemble on a oublié. Dans le cas de l'Iran, il faut remonter au XIXe siècle. À cette époque, les Russes et les Anglais se livrent une lutte continuelle pour l'extension de leur zone d'influence en Asie Centrale. Et l'Iran, dont la puissance économique et militaire ne fait plus le poids, se trouve entre les deux. Ajoutez-y deux longs règnes successifs de shahs dépensiers, et vous obtenez le ticket gagnant. Tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle, pour maintenir leurs comptes à flot, les dirigeants de l'Iran ont dû accumuler les emprunts, essentiellement auprès de la Grande-Bretagne et de la Russie. Ne pouvant bien évidemment pas rembourser, ils accordaient alors des concessions, sur des pans entiers du marché, voire sur des fonctions gouvernementales, à ces deux pays. Lesquels, comme ils se doit, géraient leurs affaires pour leur profit, et non dans l'intérêt de la population locale.
C'est ainsi que se développe à partir de 1890 un fort sentiment nationaliste, tourné également contre le shah, qui est vu comme une marionnette aux mains des étrangers. La contestation augmente jusqu'à la création d'un parlement à peu près démocratique en 1906. Le shah meurt quarante jours plus tard, et son fils lui succède, qui veut revenir sur cette décision. Avec l'aide des deux grandes puissances, il fait bombarder le parlement, mais est finalement vaincu et chassé en 1909, remplacé par son fils. Pour tenter de desserrer l'étau, le parlement fait appel en 1911 à Morgan Shuster, un Américain, pour qu'il essaye de redresser l'économie iranienne. Il est chassé la même année suite à une invasion du nord du pays par la Russie et à de lourdes pressions diplomatiques.
Il faut savoir qu'un tournant majeur a eu lieu en 1909 : M. D'Arcy, concessionnaire britannique a trouvé du pétrole en Iran et fondé la Anglo-Persian Oil Company (APOC) pour l'exporter. Si je vous dis que cette compagnie a depuis bien grandi, changé de nom, et s'appelle désormais British Petroleum, vous devez commencer à saisir toute l'importance stratégique que prend le pays pour la Grande-Bretagne. Jusqu'à présent, c'était essentiellement la Russie qui avait bénéficié des concessions, les Anglais étant empêtrés en Afghanistan (salauds d'Afghans, déjà à l'époque ils refusaient de se laisser envahir !) Dès lors, le marasme n'en finit plus de s'étendre, l'Iran subissant une nouvelle et sévère humiliation lorsque les Anglais envahissent tout l'ouest du pays pendant la Première Guerre Mondiale, au motif de combattre les Ottomans.
C'est alors qu'intervient Reza Pahlavi, jeune général. Avec l'aide du premier ministre, il profite de l'absence du shah pour fomenter et réussir un coup d'État en 1921. En quelques années, il rétablit l'ordre, et les Britanniques applaudissent des deux mains lorsqu'en 1925, il prend place sur le trône. Quoi de mieux qu'un pays apaisé pour le commerce ? Mais leur joie est de courte durée. Reza Shah s'attache à moderniser le pays, en y installant notamment une ligne de chemin de fer. Pour ce faire, il se tourne vers d'autres puissances que les protagonistes de ce récit, en particulier vers l'Allemagne. Lorsque la guerre éclate, l'Iran décide de rester neutre, car l'inverse nuirait à son économie ; les Anglais, quant à eux, voient d'un mauvais œil la présence d'ingénieurs allemands dans le même pays que leurs principaux oléoducs, et exigent que le shah les expulse. Ce qu'il refuse. C'est alors la rebuffade de trop, la Grande-Bretagne et l'URSS envahissent l'Iran et remplacent Reza Shah par son fils Mohammad Reza Shah.
Dans un premier temps, celui‑ci est conforme aux attentes des Anglais, mais les revendications de son peuple reprennent vite le dessus. Pour améliorer les revenus du pays, le premier ministre Mohammad Mossadegh décide en 1951 de nationaliser la APOC. Chambard monstrueux, bien sûr, et dès 1953 il faut faire machine arrière suite à une intervention militaire musclée des Anglais et d'un petit nouveau dans le Grand Jeu, la CIA. N'ayant plus le levier du pétrole, le shah doit alors trouver un autre moyen pour contenter sa remuante population. Après divers essais infructueux, il lance finalement la Révolution Blanche en 1963. C'est ce qui va précipiter sa chute. Il était bien sûr décrié pour sa tendance à la dictature, mais ce n'est pas la seule raison de son échec, car mine de rien, il a considérablement augmenté le niveau de vie du pays en deux décennies. Seulement, parmi les réformes clés de la Révolution Blanche, on trouve la redistribution des terres agricoles aux plus pauvres, la nationalisation des forêts et des pâturages, la création d'un corps d'enseignants pour éradiquer l'illettrisme, et le droit de vote des femmes. Or, qui était un très gros propriétaire terrien, chargé de l'enseignement, et misogyne notoire ? Le clergé chiite. Et qui a pris le pouvoir en 1979 ? Bingo ! Vous avez tout compris.
Les Américains en ont rajouté une couche en 1980. Ils étaient apparemment fort surpris de voir débarquer les intégristes à la tête du pays ; c'est vrai qu'il n'y avait pas eu de signe annonciateur : déjà en 1925, c'était le clergé qui avait fait opter Reza Shah pour le titre de shah, abandonnant son idée originelle de république. Alors les USA ont eu la bonne idée d'armer l'Irak, qui passait à l'époque pour un pays progressiste, avec pour mission de chasser les vilains barbus anti‑occidentaux d'un pays producteur du pétrole. La suite, on la connaît...

6 février 2013

La Liberté guidant les peuples de l'Internet

Le grand combat de cette décennie sur Internet, et sans doute de la suivante, aura été celui de deux conceptions du logiciel, de deux conceptions de l'art et de sa distribution, qui s'opposent et sont pour l'essentiel incompatibles. C'est la question des licences libres. Il n'est pas besoin de revenir dans le détail sur le concept en lui‑même : il s'agit de mettre un contenu protégé par les droits d'auteur à disposition du public sans se réserver l'ensemble de ces droits. La plus connue de ces licences, en quelque sorte la mère de toutes les autres, c'est la General Public Licence, alias la GPL. Elle est publiée par la Free Software Foundation (FSF), qui a peu à peu acquis le statut de référence en matière de libre : les conceptions qu'elle édicte ont force de loi morale, et vouloir s'en écarter, ou élargir les perspectives, c'est risquer de s'attirer les foudres des libristes orthodoxes. De manière emblématique, on détermine si une licence est libre en vérifiant sa compatibilité avec la GPL : une nouvelle licence doit franchir cette épreuve pour être accueillie dans la grande famille du libre.
À l'origine, les licences libres concernaient le logiciel, et lui seul, et ont été conçues dans cette optique. En vérité, la FSF a même décrété que de son point de vue, l'art ne devait pas nécessairement être libre. Aussi, dans le domaine logiciel, on a vu se développer aux côtés de la GPL, des licences sœurs, comme la LGPL ou la GFDL, ainsi que des licences cousines, comme la licence MIT ou la licence BSD. Chacune de ces licences est considérée comme un tout indépendant des autres, même lorsque les noms sont similaires et qu'elles sont gérées par le même organisme. En 2002, la Creative Commons (CC) introduit le concept de licences modulaires : à partir d'une base commune, une série de licences est produite pour permettre de gérer finement ce qui est autorisé ou non. Pour cette raison, une partie des licences CC ne sont pas considérées comme libres par la FSF. Par ailleurs, les licences CC se positionnent ouvertement sur le contenu artistique.

Quelques notions de droit

Mais revenons sur le concept de licence, ou plus exactement de licence d'utilisation. Il s'agit d'un contrat par lequel un concédant distribue un objet et des droits afférents à un licencié, à la condition que le licencié accepte et respecte les clauses limitatives du contrat. La particularité de la licence est que le concédant signe par avance le contrat avec n'importe qui, la conclusion de la transaction se faisant au moment où le licencié prend possession de l'objet et des droits afférents, et donc accepte la licence. En tant que contrat, il est donc géré par le droit des contrats, qui en France est regroupé dans le Code Civil (CCi) et dans le Code de la Consommation (CCo). Si l'identité du licencié ne pose pas de problème, il faut détailler un peu plus la question du concédant. Dans le cas qui nous intéresse, à savoir la distribution d'une œuvre de l'esprit, le concédant est un ayant-droit, titulaire des droits d'auteurs et droits voisins sur l'œuvre en question. Son identité est déterminée par l'abondante législation sur le sujet, en l'occurrence les conventions internationales sur la propriété intellectuelle, et en France le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

En quoi est‑ce important de bien connaître ces aspects juridiques ? Tout simplement parce que, quoiqu'en pense Jean-Kévin qui rigole grassement de l'HADOPI en téléchargeant le dernier album de Taylor Swift, l'Internet est soumis au droit. On m'a déjà sorti l'argument comme quoi « on s'en fout du droit français, on est sur Internet, ça concerne le monde entier ». N'en déplaise à ces gens‑là, l'Internet n'est pas un État souverain, mais seulement un moyen de communication. Dès lors, une action — même réalisée sur Internet — effectuée entre deux personnes se trouvant sur le sol français, ou entre une personne sur le sol français et un ressortissant français à l'étranger, est soumise au droit français et à lui seul ! Il ne faut pas l'oublier. En d'autres termes, si vous Français(e), habitant en France, voulez distribuer un contenu sous licence libre sur Internet, vous avez obligation de vous assurer que cette licence est légale en droit français, sans quoi elle sera considérée comme nulle et non avenue. Ce qui signifie que si vous utilisez un contenu diffusé par un Français sous une licence libre illégale en droit français, l'ayant-droit pourra à tout moment soulever la nullité du contrat, et le contenu redeviendra propriétaire : en ne prenant pas ces précautions minimales, on perd la sécurité que les droits accordés seront pérennes, et donc tout l'intérêt d'une licence libre.
C'est là l'énorme défaut de la GPL : elle n'est pas valable en droit français. Ce n'est pas moi qui l'affirme, mais une publication très sérieuse de l'IRPI. Et ce pour trois raisons. Tout d'abord, elle est rédigée en anglais, et la FSF refuse de faire des traductions officielles ; or, depuis la loi Toubon de 1994, il est interdit de rédiger un contrat à destination d'un citoyen français dans une autre langue que le français. Ensuite, le droit français — parce qu'il est plus fortement marqué par le droit romain que ne l'est le droit anglo-saxon — n'autorise pas les formulations globales dans les contrats. Plus précisément, l'article L131-1 du CPI oblige à céder chaque droit un par un et nommément, ainsi qu'à préciser explicitement l'extension géographique et temporelle de la cession : la GPL qui se contente de céder tous les droits sans autre précision contrevient à cette disposition. Enfin, la GPL n'accorde aucune garantie d'aucune sorte sur le produit qui est distribué : cela est illicite au regard des articles L132-1 du CCo et 1386-15 du CCi, qui rendent caduc un contrat de consommation dont les clauses sont ouvertement disproportionnées en défaveur du consommateur.
C'est pour résoudre ces problèmes et offrir une licence libre utilisable sans crainte par des Français que des chercheurs du CEA, du CNRS et de l'INRIA ont créé la licence CeCILL : elle est rédigée en français, a éliminé les formulations globales et répartit équitablement les garanties et responsabilités entre concédant et licencié. À la suite de cette initiative, les licences CC se sont dotées d'une traduction française officielle adaptée au droit français. Notamment, la CC0 qui permet de se rapprocher du domaine public autant que le permet le droit français. Parallèlement, l'APRIL a rédigé la licence Art Libre qui correspond à la CC‑BY‑SA mais adapté à la sauce française.
La CeCILL a réglé un autre problème, qui reste présent dans les licences anglo-saxonnes, et dans les traductions françaises des licences CC : ces licences ne précisent pas la manière de gérer les litiges. Autant c'est relativement simple quand il s'agit de deux Français, autant le droit international des contrats devient un inextricable foutoir dès lors qu'un Français veut défendre ses droits face à un Américain du Michigan agissant par l'entremise d'une société écran au Malawi. Il est donc impératif, pour garantir la capacité de l'ayant-droit à se défendre en justice, de préciser explicitement dans la licence que tout litige se réglera en droit français et devant un tribunal français, sauf à ce qu'un accord différent soit trouvé entre les deux parties.

Ceci étant dit, la CeCILL est une licence de très bonne facture — et je vous invite vivement à l'utiliser plutôt qu'une licence anglo-saxonne si vous produisez des logiciels libres — mais limitée au logiciel. La licence Art Libre est limitée à une seule forme, et les traductions des CC, outre le problème du litige soulevé ci‑dessus, connaissent quelques limites quant à la finesse du détail des droits concédés. C'est ce que nous allons explorer à présent.

L'aliénation

Pour faire dans la finesse et la subtilité, on va commencer par la clause des CC qui suscite les débats les plus houleux et les critiques les plus véhémentes dans le monde du libre : la clause NC, alias Non-Commercial. Avant de s'interroger sur le caractère libre ou non d'une licence portant une telle clause, je voudrais revenir sur sa dénomination. Peut-être est‑elle valable en anglais — je ne maîtrise pas assez les subtilités de cette langue barbare pour me prononcer — mais assurément, en français, elle est abusive. En effet, si l'on regarde dans le détail du texte, on se rend compte que la licence limite la cession non aux utilisation non‑commerciales mais aux utilisations non‑onéreuses. Bon, quelle est encore cette subtilité janséniste ?
Le droit français définit assez précisément ce qui est un acte commercial et ce qui ne l'est pas dans les premiers articles du Code de Commerce. Je n'en ferai pas une description détaillée ici, 1 je me contenterai de dire que le commerce recouvre grosso modo l'achat de quelque chose dans le but de le revendre, en l'état ou modifié. Mais en réalité c'est plus complexe. On trouve ainsi ce qu'on appelle les « actes commerciaux par accessoire », qui sont stricto sensu des actes civils, mais qui en raison de leur forme, de leur but ou de la personne qui les fait, sont considérés comme commerciaux quand même. Par exemple, signer un contrat de travail est un acte civil. Mais si un commerçant embauche un commis, cela devient un acte commercial. Et au contraire, il existe des « actes civils par accessoire » qui, vous l'aurez deviné, sont stricto sensu des actes commerciaux, mais considérés comme civils en raison de leur nature d'accessoire d'une activité civile. Par exemple, acheter des ballons pour les revendre, c'est un acte commercial. Mais si un prof de sport vend des ballons à ses élèves pour qu'ils continuent à s'entraîner chez eux, c'est un acte civil par accessoire. La limite précise de ces catégories annexes n'est pas définie par la loi, ce sont les juges qui tranchent au cas par cas. Mais on peut penser qu'une association ayant pour but de faire connaître Wikipédia, et qui vendrait des CD contenant un condensé de l'encyclopédie à ceux qui n'ont pas d'accès à Internet, réaliserait un acte civil par accessoire, du moment que cette vente ne constituerait pas son activité principale.
Je donne cet exemple, car c'est un argument majeur contre le fait de placer l'encyclopédie sous licence CC‑BY‑SA‑NC plutôt que sous CC‑BY‑SA comme c'est actuellement le cas : cela interdirait de vendre Wikipédia sur des CD, par exemple dans le Tiers-Monde. Et dans la rédaction de la CC, c'est effectivement le cas, car elle n'interdit pas uniquement les utilisations commerciales, mais toute utilisation onéreuse, c'est à dire dans le but d'obtenir de l'argent ou une contrepartie en nature. Il faudrait donc pouvoir affiner le choix proposé, par une gradation à trois niveaux : tout permis — non commercial — non onéreux.

Une fois définie correctement, est‑ce qu'une licence comportant une clause « non commercial » serait libre. La question fait débat au sein de la communauté, et la réponse tendrait plutôt vers le non (voir chez Simon Giraudot). Pour ce qui est de la FSF, la réponse est indubitablement non. Mais il faut garder à l'esprit que la FSF, pour des raisons évidentes, a une conception très anglo-saxonne de la liberté, où la liberté de faire du fric avec à peu près n'importe quoi tient une place de choix. De mon côté, j'ai une vision peut‑être plus « continentale » de la question, qui considère qu'avoir à payer un intermédiaire est un obstacle dans l'exercice de sa liberté, surtout dans le domaine culturel, et qu'interdire l'utilisation commerciale de son œuvre est une garantie que chacun pourra y accéder et la réutiliser dans les conditions qu'il désire, sans qu'un intermédiaire ne vienne lui demander une contribution. Interdire toute utilisation onéreuse, est en revanche un frein à la diffusion comme on l'a vu plus haut. Cela est particulièrement important à mon sens dans le domaine de la recherche scientifique : la clause NC sur un article scientifique interdit de l'imprimer et de le revendre au prix du papier, mais la clause SA seule laisse tout loisir à une grosse boite d'édition de faire un best‑of des meilleurs articles de l'année et de se faire du beurre dessus.

L'attribution

Cette question un peu plus légère va nous permettre d'aborder un point important du droit d'auteur à la française. En droit français, il existe deux catégories de droits d'auteur : les droits moraux et les droits patrimoniaux. Les seconds correspondent au droit de gagner de l'argent avec son œuvre, les produits dérivés de son œuvre, et dans certains cas la revente et la location par un tiers de son œuvre. Il est possible sous certaines conditions de céder en tout ou partie ces droits, et ils sont limités dans le temps ; après quoi, l'œuvre entre dans le domaine public. Les droits moraux, sont tout autres : ils sont imprescriptibles et inaliénables. En français du petit peuple, ça veut dire qu'il est impossible de céder ces droits à quelqu'un d'autre, quand bien même on le voudrait, et qu'ils sont éternels : même lorsque l'œuvre est dans le domaine public, ces droits demeurent. C'est la raison d'être de la licence CC0 : le droit français interdit à un auteur d'abandonner ses droits moraux sur son œuvre, mais cette licence permet d'abandonner tous les autres droits.
Il y a quatre droits moraux. Le premier est le droit de divulgation, qui stipule que l'auteur seul est autorisé à décider du moment et du moyen de la première mise à disposition de son œuvre auprès du public. Dans le cadre d'une licence d'utilisation, la question ne se pose pas, puisque si un auteur émet une licence, c'est qu'il a accepté de divulguer son œuvre.
Le deuxième est le droit de paternité. Il est important de noter que le droit français diffère ici du droit anglo-saxon : de l'autre côté de la Manche, un auteur peut abandonner ce droit, et c'est pourquoi il peut faire le choix ou non de la clause BY de la licence CC. En revanche, si un Français diffuse son œuvre sous une licence CC n'incluant pas cette clause de paternité, la licence est caduque ! Cela signifie également que si l'auteur divulgue son œuvre sous un pseudonyme ou anonymement, il faut respecter ce choix.
Le troisième est le droit de repentir, qui autorise l'auteur à retirer son œuvre du marché, à charge d'indemniser le propriétaire de l'objet lorsqu'il s'agit d'un modèle unique, ou ceux à qui il a cédé ses droits patrimoniaux, si ceux‑ci avaient engagé des frais pour sa diffusion. Il va de soi que cette indemnisation est incompatible avec une clause « non onéreux ». À noter que ce droit n'est pas valable pour le logiciel, et que celui des agents publics dans le l'exercice de leurs fonctions est limité.
Le quatrième est le droit à l'intégrité que l'on verra dans la partie suivante.

L'altération

La question de l'altération de l'œuvre est regroupée chez CC sous la clause ND ou l'absence d'icelle, mais cette dernière recouvre en vérité plusieurs formes d'altération possibles. La modification consiste à conserver le même support et le même médium, 2 mais à altérer le contenu ; cela inclut l'intégration dans un tout plus vaste et la traduction. On peut vouloir l'interdire, par exemple dans le cas d'une norme, mais ce n'est alors plus une licence libre. La transposition conserve le contenu et le médium, mais altère le support ; rentrent dans cette catégorie, entre autres, prendre un tableau en photo, transformer un livre papier en epub, ou encore filmer une pièce de théâtre. L'adaptation conserve le contenu, mais altère le médium, et donc généralement le support ; on y trouve l'adaptation en film d'un roman, la transcription en partition d'un morceau de musique, ou le fait de filmer un concert.
Dans cette dernière catégorie rentre également l'interprétation, ce qui met en jeu les droits voisins, notamment celui d'artiste-interprète. En effet, si une partition — dans le domaine public, par exemple — est jouée par deux personnes différentes, le résultat ne sera pas soumis aux même droits voisins, et chaque interprète pourra diffuser sa version du morceau sous la licence qu'il désire.

C'est sur cette question de l'altération qu'intervient le droit à l'intégrité : si l'auteur autorise l'altération de son œuvre, il faut impérativement qu'elle soit mentionnée explicitement sur le résultat. Ainsi, il est interdit de publier un livre — même du domaine public — tronqué de certains morceaux, sans préciser que le texte est partiel. Et dans la mesure où il s'agit d'un droit moral, l'auteur n'a pas le loisir de l'abandonner dans sa licence.

La contamination

Sans doute la clause la plus simple, mais subordonnée à l'existence d'une clause autorisant au moins une forme d'altération. Il s'agit d'obliger celui qui altère son œuvre à diffuser le résultat sous une licence équivalente, si possible la même. Les anglophones appellent cela le copyleft, et la FSF l'encourage vivement, notamment dans la GPL. Techniquement, c'est une limitation à la liberté de celui à qui on diffuse l'œuvre, mais qui offre la garantie qu'elle ne sortira pas du monde du libre après une altération minimale. Ce qui prouve bien que la FSF choisit de définir la notion de liberté en fonction de ce qui l'arrange.

Et si on résume ?

Pour obtenir un panel de licences libres ou non pour du contenu culturel (à l'exclusion, donc, du logiciel), modulables à volonté, et valables en droit français, voici donc le plan général de rédaction, rédaction en français bien sûr, avec des sigles à combiner pour raccourcir le nom de la licence.

À inclure obligatoirement dans la licence Bien Public 3
  • La mention des textes législatifs qui conditionnent la légalité de la licence.
  • La définition des parties en jeu, notamment la place de l'interprète quand cela se justifie.
  • Le choix du droit français et de la justice française en cas de litige.
  • Le fait que les droits accordés le sont dans le monde entier, et aussi longtemps que le concédant possédera les droits patrimoniaux sur l'œuvre.
  • La garantie contre le vice caché.
  • La responsabilité partagée entre concédant et licencié en cas de dommage lors de la rediffusion de l'œuvre.
  • L'obligation de signaler explicitement l'auteur de l'œuvre sous la forme qu'il aura choisie.

La liste des droits concédés, énumérés un à un, au choix du concédant.
  • Le droit de diffuser l'œuvre à un tiers sans permission préalable du concédant. (D)
  • Le droit de modifier l'œuvre. (M)
  • Le droit de transposer l'œuvre. (T)
  • Le droit d'adapter l'œuvre. (A)
(Dans les trois cas précédents, il faudra en outre inclure la définition précise de ces termes, et l'obligation faite au licencié de signaler explicitement toute altération apportée à l'œuvre.)

La liste des conditions limitatives, au choix du concédant.
  • La diffusion à un tiers est autorisée, à condition que ce soit strictement sous la même licence. (I comme Identique)
  • Le droit d'altérer l'œuvre, à condition que le résultat soit diffusé sous la même licence ou une licence équivalente. (E comme Équivalent)
  • L'interdiction de faire une utilisation commerciale / onéreuse de l'œuvre. (NC/NO)

(Il n'est pas nécessaire de stipuler la sauvegarde du droit de repentir, sauf à mentionner que dans le cas d'une clause NO, il ne pourra être fait d'indemnisation.)

Voici un exemple de rédaction de quelques unes des licences BiPu, les autres suivront plus tard.
  • BiPu 0 (propriétaire)
  • BiPu DAMT (équivalente à la CC 0)
  • BiPu DIMTAE (compatible Wikipédia)
  • BiPu DIMTAENC

Une licence n'est pas libre au sens de la FSF si l'une des clauses D, M, T, A ou I est absente, ou si une clause NC ou NO est présente. En outre, elle n'est pas compatible avec la CC‑BY‑SA si la clause E est absente : cela signifie qu'il n'est pas possible d'inclure du contenu de Wikipédia au‑delà du simple droit de courte citation. Ces licences ne sont bien sûr pas définitives : n'étant pas un juriste, je ne m'aventurerais pas à affirmer qu'elle sont au mieux de leur solidité juridique, ni que les licences prétendument compatibles avec la CC‑BY‑SA ou la Art Libre le sont effectivement. Mais elles constituent une base intéressante, à améliorer.
Il va de soi que le texte de ces licences est diffusé sous les termes de la Licence BiPu‑DIMTAENC.

1 D'autant que certains aspects n'intéressent pas notre propos : un acte est commercial dès qu'il met en jeu des bateaux, certes, mais dans le cadre d'une licence d'utilisation d'un contenu culturel, on s'en tamponne la bastaque avec une misaine.
2 On distinguera trois média : l'écrit, l'audio, et le visuel, qui peuvent se combiner. Un film est audio-visuel, une BD tient du visuel et de l'écrit, et un livre lu est à la fois du domaine de l'écrit et de l'audio. On peut supposer l'existence d'autres média, comme l'odorama pour une sculpture en merde, mais c'est marginal.
3 Que je vous prierai d'abréger en BiPu, je ne veux pas être associé au fournisseur officiel de marée noire de Sa Majesté.

3 février 2013

On a trouvé le mouvement perpétuel !

Récemment, le Canard enchaîné a publié un de ses habituels articles sur la bouffe qui donnent envie de devenir ermite au fin fond du monde après les avoir lus. Cette fois‑ci, le sujet était l'île flottante. Normalement, un île flottante se fait avec quatre ingrédients en tout en pour tout. Savez‑vous que notre brave industrie agro‑alimentaire est parvenue à produire des îles flottantes nécessitant dix‑sept ingrédients pour être cuisinées ? Toutes sortes de gélifiants, épaississant, anti‑oxydants et à l'avenant. Mieux encore, il est désormais possible de faire de l'île flottante sans œuf !
À la suite de quoi, je me suis pris à regarder à nouveau la composition de ce que je mange. J'ai ainsi pu découvrir que les Maron'Suis, ces délicieuses et inimitables préparations à la châtaigne contiennent, outre trois additifs plus ou moins chimiques, du lait en poudre et ... de l'eau. Pour faire gonfler, je suppose. Alors même que toutes les recettes s'accordent à dire qu'il suffit de quatre ingrédients : de la crème fraîche, de la crème de marrons, un peu de sucre et de l'huile de coude. Et c'est pareil pour à peu près tout ce qui arrive déjà cuisiné dans notre assiette. C'est en partie lié à des impératifs de conservation, mais c'est surtout lié à des impératifs d'économies.
Quelle solution, alors, pour arrêter de manger toutes ces merdes ? Faire sa popote soi‑même et arrêter de se reposer sur les plats tous faits. Mais c'est là qu'émerge le nœud du problème : si on fait ça pour un seul plat de temps en temps, ça va encore, mais étendu à tous les desserts, biscuits, plats cuisinés et autres que nous mangeons, ça devient méchamment chronophage. Parce qu'en sus de la cuisine proprement dite, il faut faire la vaisselle à chaque fois. Et nous n'avons pas le temps, parce qu'il faut déjà passer sept heures par jour au boulot, et en rentrant s'occuper des tracas quotidiens ou bien sortir s'aérer l'esprit à une quelconque activité du soir. Alors on entretient cette industrie de la nourriture en pack.
Mais supposons. Le salariat et la fonction publique ne travaillent désormais plus que vingt heures par semaine, soit quatre heures par jour. Ça laisse tout de suite beaucoup plus de temps pour s'occuper de sa maison, de ses gosses, faire des tas de choses, entre autres se faire à manger ou s'occuper d'un petit potager, etc. Et ça limite le besoin de recourir aux ersatz que nous vend l'industrie agro‑alimentaire. Mais ça limite aussi les besoins en garderie pour s'occuper de ses enfants quand on est au boulot, en visites médicales et en produit contre les boutons parce qu'on bouffe de la merde et qu'on est stressé. Dit autrement, c'est parce que nous travaillons autant que nous créons un besoin pour toute une gamme d'emplois, que nous n'aurions pas en travaillant moins. Notre travail crée un besoin de travail supplémentaire : nous avons inventé l'énergie auto‑productrice !

31 décembre 2012

Et toi, à quoi tu joues ?

Les rédacteurs du magazine 42 ont fait comme chaque année leur top 3 des meilleurs jeux vidéos auxquels ils ont joué au cours de l'année. Si l'originalité est au rendez‑vous chez un certain nombre d'entre eux, on ne peut que regretter l'absence de jeux libres, ou au minimum jouables sur Linux. Voici donc ma petite sélection, qui doit correspondre à l'ensemble des jeux que j'ai découverts cette année, étant donné que je ne suis qu'un vilain casu.

Frogatto

Là, on tape dans le jeu non seulement jouable sur Linux mais réellement libre. C'est un jeu de plate-forme, qui tout en reprenant tous les classiques de ce type de jeu n'en est pas moins unique. Je vais cependant commencer par ce que je n'aime vraiment pas. Ce jeu se veut un hommage à la SNES. Niveau graphismes, ça donne un résultat intéressant, avec des dessins pixelisés, mais malgré tout très agréables. Pour le reste, en revanche... Je trouve la bande-son horripilante, mais je suppose qu'un amateur de musique 8‑bits y trouverait plus de plaisir que moi. Ce qui est vraiment insupportable, c'est la maniabilité : pour un jeu casu, il est objectivement difficile. Au départ, j'ai pensé que c'était moi qui étais mauvais, mais en voyant des vidéos de soluce sur Internet, j'ai pu me rendre compte que ce n'était pas juste moi. Le tir, tout particulièrement, est ardu. Car le personnage que l'on incarne n'est jamais qu'un grenouille ; et si cela lui permet de ne pas craindre l'eau comme dans de nombreux jeu de plate-forme, cela le rend très vulnérable. De nombreux ennemis sont inattaquables, et un certain nombre ne le sont qu'en leur lançant des objets ou d'autres ennemis dessus. Et c'est là que le bât blesse : les tirs ne sont pas droits, mais légèrement en cloche. On ne peut pas se contenter de tirer sur un ennemi en face de soi, car s'il est un poil trop près, on le lobe. De même, tirer sur un ennemi en vol tient de la gageure.
Mais ces désagréments sont compensés par ce qui fait le vrai bon point du jeu, à savoir l'humour absurde dans lequel il baigne. Votre personnage n'a rien d'un héros : c'est un grenouille glandeur, vénal, râleur et imbu de lui-même. L'histoire commence à allant fouiller la chambre de son colloc pour lui chourer ses économies, avant que celui‑ci ne vous houspille pour que vous vous décidiez enfin à trouver du boulot. Puis, un peu plus loin, lorsqu'une amie en détresse vous demande de l'aide, vous commencez par demander combien elle paye. Quant à la quête en elle-même, elle n'existe pas réellement ; l'histoire suit son cours au gré des événements extérieurs, et Frogatto ne se sent jamais investi d'une mission particulière : il se contente d'aller voir ce qui se passe, et de se sortir des ennuis quand il en rencontre.

Blocks that matter

Petite création indépendante d'un mini-studio de deux Français, il s'agit d'un jeu alliant puzzle et plate-forme. Deux programmeurs ont été kidnappés par quelque malandrin, et un robot de leur invention vient les chercher. Pour ce faire, le robot, que le joueur incarne, doit collecter des blocs de diverses matières — d'où le titre — puis les ré‑assembler quatre à quatre et les disposer à quelque endroit de son parcours, de manière à franchir les obstacles qui se dressent entre lui et le portail de changement de niveau. Évidemment, chaque matière a ses spécificités qu'il faut exploiter à bon escient, d'où l'aspect puzzle. D'autant que terminer le niveau en utilisant le minimum de blocs donne un bonus. Dans l'ensemble, le jeu est vraiment bien foutu. Les puzzles ne sont en eux-mêmes pas très compliqués, permettant de jouer sans trop se prendre la tête, mais obtenir le « bloc secret » de chaque niveau se révèle une autre paire de manche, permettant d'ajouter un niveau de difficulté pour ceux qui le veulent. Je soupçonne d'ailleurs que certains de ces blocs secrets ne se peuvent atteindre qu'en revenant à ce niveau plus tard dans le jeu, après avoir gagné une amélioration supplémentaire. En effet, vous démarrez le jeu avec une simple perceuse, mais dans certains niveaux, une machine peut vous améliorer, par exemple en vous offrant un foret plus efficace capable de récolter un nouveau type de roche.
Les graphismes sont mignonnets sans faire dans la débauche artistique, la bande son et les bruitages accompagnent gentiment sans devenir relous. Et si vous n'êtes pas encore convaincus, sachez que ce jeu est si peu cher que je l'ai même acheté, au lieu de l'emprunter à un ami, comme je fais normalement. Avec les soldes, il est en ce moment à moins de un euro, c'est dire !

Sonny

Car les jeux jouables sous Linux, ce sont aussi les jeux Flash. Oui, Flash c'est le mal, mais personne ne développe encore de jeux en SVG interactif, alors il faut bien se contenter de ce que l'on a. Sonny, c'est un jeu de zombis. Sauf qu'au lieu de les dézinguer comme à votre habitude, vous en incarnez un. Sonny, de son nom. Le scénario tient sur une tranche de PQ : Sonny se réveille sur un bateau, zombifié et amnésique, mais en ayant conservé sa conscience, au contraire de tous ses anciens petits camarades ; ensuite de quoi, il va s'efforcer de trouver des réponses à ses questions, en tabassant tous ceux qui se mettront dans son passage.
Au final, ça donne quoi ? Un RPG de baston. Fondamentalement, à l'exception de quelques dialogues de ci de là, l'histoire est entièrement linéaire, et composée exclusivement de combats les uns à la suite des autres. Sauf qu'il faut améliorer ses compétences, apprendre de nouveaux coups spéciaux, et améliorer son matériel pour être plus efficace en combat. Car si les premiers combats se remportent en un tournemain, la difficulté augmente assez vite, d'autant que l'on se voit doté d'un partenaire — qu'on ne contrôle pas vraiment, on ne peut que lui donner un profil général de comportement — et que les adversaires sont rarement seuls et s'entraident. Ceci, ajouté au système de tour par tour, rend nécessaire le développement d'une stratégie adaptée à chaque combat, ce qui en fait un jeu beaucoup plus porté sur la réflexion que le résumé ne pourrait le faire croire. La musique est répétitive à la longue, mais assurément entraînante, et donne du cœur à l'ouvrage. De manière plus succincte, ce jeu est le seul qui m'ait jamais tenu éveillé jusque tard dans la nuit.
Pour finir sur les aspects négatifs, j'en citerai deux. Tout d'abord, une part d'aléatoire parfois rageante. Il est, par exemple, un combat qui peut se dérouler de deux manières, selon le choix tactique de l'adversaire : ou bien il vous attaque principalement vous, et avec l'aide de votre associé soigneur, et en jouant finement, vous finirez par l'emporter de pas grand chose ; ou bien il commence par pilonner votre trousse de secours ambulante, la tuant en quelques tours, et dès lors il ne reste plus qu'à se suicider, le combat étant par trop inégal. Et c'est purement au hasard que ce choix se fait : alors le combat est déjà assez difficile en soi, sans en plus perdre régulièrement des tours pour rien juste à cause d'une saloperie de moteur aléatoire ! Ensuite, le dosage assez moyen de la difficulté. En effet, le combat contre la combinaison chamane-de-la-vie + chamane-de-la-mort + totem au troisième tableau est à mon avis le plus difficile de tous, et de manière générale, le troisième tableau est plus ardu que le quatrième.
Il y a eu une suite, Sonny 2, dont la fin laisse présager un Sonny 3 qui se fait attendre, mais je trouve cette suite moins agréable à jouer : dans le premier opus, le choix de départ d'un type de personnage déterminait les caractéristiques de départ et leur évolution « naturelle » aux prises de niveau, mais les compétences spéciales étaient les mêmes pour tout le monde ; dans le deuxième, au contraire, l'arbre des compétences est différent pour chaque type, ce qui à mon avis limite la variété de jeux possibles, faute de pouvoir combiner.

Et pour la suite ?

Ma seule attente pour l'an prochain (ou plus tard, va-t'en savoir...) c'est Seasons after Fall du même studio que Blocks that Matter. Les graphismes sont superbes, la musique douce, et le jeu a l'air bucolique à souhait. Et surtout entièrement pacifique, ce qui est plutôt rare. Le principe serait de guider un renard dans un paysage qui change en fonction des saisons, et d'utiliser ce changement de saisons à bon escient pour progresser. Regardez la vidéo de présentation, elle est beaucoup plus parlante que toute description que je pourrais faire.

30 décembre 2012

Plus près de toi, mon Dieu...

S'il est un point sur lequel toutes les religions sont gaillardement œcuméniques, et plutôt deux fois qu'une, c'est quand il s'agit de taper sur les athées. Qu'on soit musulman chiite, chrétien anglican, juif ultra-orthodoxe ou même hindouiste, un maudit incroyant reste un salaud de mécréant ; et les ennemis de ses ennemis étant ce qu'ils sont, on ne rechigne pas à s'allier en faisant fi des confessions et des convenances pour fustiger, blâmer, vilipender voire molester les empêcheurs de prier en rond. Ou tourné vers la Mecque, si vous préférez.
Tout particulièrement, les calotins de tous poils, y compris sur le menton 1, s'accordent à affirmer que sans la religion en général et la leur en particulier, il n'y aurait pas de morale. En effet, expliquent-ils doctement, comment un homme pourrait-il s'empêcher de faire le mal sans avoir de compte à rendre à une entité supérieure, capable de le surveiller en tous les lieux, par tous les temps 2 ? Ça, c'est la version de Papa Ratzi, le pape sorti des jeunesses hitlériennes, quand il donne des leçons au monde 3, parce qu'il a fait des études, ou du moins ses nègres en ont fait. Le croyant moyen, lui, sera plus fruste dans sa formulation, et vous gratifiera d'un « Si tu crois pas en Dieu, si tu crois pas à l'enfer, pourquoi tu vas pas tuer des enfants, après tout, tu risques rien ? » bien senti, ou autre à l'avenant. Il est bien sûr possible de nier, d'affirmer avec force conviction que son interlocuteur se trompe 4, et qu'il est tout à fait possible d'avoir une morale en dehors de la religion. Mais on court au dialogue de sourds. Aussi, il m'est venu cette petite réflexion, que vous aurez sans doute l'occasion de replacer : à moins de ne fréquenter strictement que des athées, il est inévitable un jour où l'autre d'aborder ce sujet.
On le sait, si la religion impose des cadres moraux, ce n'est en aucun cas un frein absolu — ni même juste efficace, à mon sens — à la propension des hommes à faire le mal, quoi que ce concept recouvre, là n'est pas la question. Quand l'autre a dit « que celui qui n'a jamais pêché lui lance la première pierre », on s'est bien rendu compte de la moralité des uns et des autres. Là où réside vraiment la différence entre un athée et un croyant, c'est que lorsqu'un croyant fait le bien, on ne peut jamais totalement exclure que ce soit dans le but de se faire bien voir de son ami imaginaire : ce n'est pas nécessairement conscient, mais le doute demeure. Alors que si un athée fait une bonne action, c'est seulement pour la satisfaction de faire le bien : il n'y a pas de jury de la Star Ac' version céleste auprès de qui il doit faire ses preuves, c'est indubitablement par pure bonté qu'il agit. Et ça, il ne faut pas l'oublier, au moment de vanter la supériorité de la morale religieuse sur la morale profane ou l'absence supposée d'icelle.
Amen.

1 Merci Didier Porte.
2 Merci Georges.
3 Merci Leo Strauss. Ben oui, ce n'est pas Mike Godwin qui a inventé le point du même nom ...
4 Ou que sa maman a une morale douteuse, au choix.

8 août 2012

Le e-book ne doit pas remplacer le livre papier ...

... c'est du moins ce que disent pas mal de gens sur Internet. De gros geeks, mais pourtant fans de leur bibliothèque. Un exemple parmi tant d'autres de ce débat chez Simon Giraudot.

J'adore les livres papiers, hein ... J'en ai une pleine bibliothèque. Mais j'ai un nouvel élément à apporter au débat.

Ma bibliothèque avant l'invention du e-book.


Ma bibliothèque depuis l'invention du e-book.

Que celui qui n'a jamais déménagé une bibliothèque entière me jette la première pierre ... :-)

7 juillet 2012

Lettre à Mme Marie-Georges Buffet

Pour ceux que la question pourrait intéresser, voici un courrier que j'ai envoyé à Marie-Georges Buffet, vice-présidente communiste de la commission aux affaires culturelles et éducatives de l'Assemblée Nationale. Il ne reste plus qu'à attendre sa réponse.


Madame la députée, camarade,

Je me permets de vous écrire pour attirer votre attention, si vous n'étiez déjà informée de la situation, sur une problématique qui me tient à cœur, et qui entre dans les attributions de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Il s'agit de la question de la publication de la recherche publique, et du rôle que jouent les sociétés privées d'édition scientifique dans le processus.

Vous n'êtes pas sans savoir que la recherche scientifique a vocation à être publiée, de manière à ce que l'ensemble des chercheurs puisse se tenir informé des avancées de la science. Cela se fait très généralement dans une revue scientifique, publiée par un éditeur. Après que l'auteur ou les auteurs ont soumis leur article, l'éditeur le fait relire et approuver par un comité d'experts, presque toujours des chercheurs publics, qui effectuent ce travail bénévolement sur leur temps de service. Enfin, l'éditeur scientifique vend sa revue, sous forme imprimée ou électronique, aux services de documentation des universités et autres établissements d'enseignement supérieur. Si on résume d'un point de vue strictement comptable, les éditeurs scientifiques s'abreuvent à la source de l'argent public — sans aucune contrepartie — en trois occasions : lors de la création du contenu de leurs revues, lors de la vérification de la qualité de ce contenu, et lors de sa distribution.
Une telle manière de procéder ne porte pas préjudice dans le cas de petites structures, comme l'ADEFO (Association pour le développement des études finno-ougriennes), qui publient une unique revue, et ce sans but lucratif. Il en est tout autrement des immenses maisons d'édition scientifique telles que Elsevier, Springer, Brepols ou encore De Gruyter, qui profitent d'une situation complexe, laquelle aboutit à un quasi-monopole de fait, pour imposer des tarifs exorbitants et des conditions draconiennes, sans égard au fait qu'elles n'existeraient pas sans les financements publics.
Voici quelques exemples des tarifs et conditions qui sont imposés aux bibliothèques universitaires, entre autres françaises. Les revues les plus chères d'Elsevier peuvent coûter jusqu'à plus de dix-huit mille euros d'abonnement annuel. La maison d'édition Walter De Gruyter publie un dictionnaire de l'occitan médiéval, réalisé par des chercheurs de l'Université de Münich — donc payés par de l'argent public — au sein d'un projet encadré par l'Académie des sciences de Bavière — là encore, financée par l'argent public — et vend le résultat aux bibliothèques publiques à un tarif avoisinant cinquante centimes la page : si les éditeurs de romans de gare pratiquaient de tels tarifs, le dernier Guillaume Musso coûterait deux cents euros. L'arrivée de l'informatique, et du livre électronique, loin de pousser les grandes maisons d'édition à baisser leurs tarifs, a encore accru leur appétit. Ce ne sont maintenant plus les éditeurs qui se chargent de taper les manuscrits à l'ordinateur, avec le coût en main-d'œuvre que cela représente : au contraire, les auteurs d'articles doivent les fournir sous forme électronique, déjà mis en page selon la charte graphique de la revue, lequel travail se fait bien sûr aux frais de l'État. Plus encore, la plupart des contrats passés entre les éditeurs et les bibliothèques publiques incluent une clause interdisant le renouvellement d'un abonnement à un tarif inférieur à celui de l'année précédente : ainsi, lorsqu'une bibliothèque veut s'abonner à la version électronique d'une revue à laquelle elle était déjà abonnée, elle est tenue de souscrire cet abonnement en sus de celui à la version imprimée. Impossible de remplacer la version imprimée par la version électronique, puisque cela ferait baisser les revenus de l'éditeur, ce que le contrat interdit. Pour obtenir plus d'informations sur les tarifs en vigueur, et les abus pratiqués par les grandes maisons d'éditions, je vous invite à prendre contact avec les organisateurs du réseau COUPERIN, qui vise à négocier des tarifs de groupe pour de nombreuses bibliothèques universitaires françaises.

Cet état de fait dure depuis de nombreuses années, mais un nombre important de chercheurs a décidé de réagir, et de lutter contre l'emprise de ces grands groupes. La révolte a été lancée au début de l'année à l'instigation du mathématicien britannique Timothy Gowers, qui a décidé de boycotter Elsevier, en refusant de publier chez eux, et de participer à leurs comités de lecture. Il fut suivi très peu après par trente-quatre mathématiciens, majoritairement britanniques, américains et français, qui publièrent un article expliquant en détail les motivations de ce boycott, et que l'on peut trouver à cette adresse http://gowers.files.wordpress.com/2012/02/elsevierstatementfinal.pdf. Dans le même temps, ces chercheurs ont lancé la pétition intitulée The cost of knowledge, appelant à pratiquer le même type de boycott qu'eux, et qui a été signée par plus de douze mille chercheurs du monde entier à l'heure où j'écris ces mots. Le dix-sept avril, c'est l'Université d'Harvard qui avoue qu'elle n'a plus les moyens de satisfaire aux exigences des maisons d'éditions : ce sont pas moins de 3,73 millions de dollars qui sont engloutis cette année pour accéder à des travaux de recherche intégralement financés par des fonds publics.
Malheureusement, dans l'état actuel des choses, boycotter les principales maisons d'édition scientifique représente un gros risque. Les chercheurs sont en grande partie évalués sur leur capacité à publier dans des revues célèbres, toutes en mains privées. Aussi, refuser de passer par leurs services signifie mettre un coup d'arrêt à leur carrière. Quant aux services de documentation, ils ne peuvent se permettre de couper l'accès des chercheurs aux publications scientifiques réputées sans que le travail des dits chercheurs n'en pâtisse. Il apparaît dès lors nécessaire que les États prennent l'affaire en main, et mettent en place des solutions qui permettent de détricoter l'écheveau de dépendances qui donne tant de pouvoir à ces maisons d'éditions.

Aux États-Unis, une pétition d'initiative populaire — consultable sur Internet à l'adresse https://petitions.whitehouse.gov/petition/require-free-access-over-internet-scientific-journal-articles-arising-taxpayer-funded-research/wDX82FLQ — demande que toute publication résultant de recherches financées par des fonds publics soit accessible gratuitement et librement sur Internet. De son côté, le ministre britannique de l'éducation et de la recherche a décidé de mettre en place d'ici à 2014 une structure informatique gratuite, permettant aux chercheurs de publier en ligne, et que leurs publications soient directement relues et commentées par les autres chercheurs.
C'est à mon avis un mélange des deux qu'il faudrait introduire en France. D'une part casser le monopole des éditeurs en obligeant la publication électronique gratuite de toute recherche publique, et la vente à prix coûtant d'une éventuelle version imprimée. D'autre part mettre en place un processus de publication financée par l'argent public qui remplace avantageusement ces mêmes éditeurs en se passant d'un intermédiaire de moins en moins nécessaire. Le coût de cette structure serait amplement couvert par la diminution drastique des frais d'acquisition imposés aux services de documentation, et l'on pourrait à terme faire des économies bienvenues en cette période de réduction des dépenses publiques.

En espérant que vous donnerez une suite favorable à ma requête, veuillez agréer, Madame la député, camarade, l'expression de mes sentiments distingués.




S'ensuivent mon nom, mon adresse et tout le bataclan, que je ne peux bien sûr reproduire ici.